Alyxia stellata (J.R. & G. Forst.) Roem. & Schult.
Liane buissonnante de grande importance dans la forêt et la tradition hawaïenne, la Maile peut intéresser les scientifiques car son étude est riche et de nombreux domaines restent à explorer !
Histoire taxonomique
La Maile fait partie de la famille des Apocynacées. La Maile hawaïenne a d’abord été nommée Alyxia oliviformis, en rapport avec son fruit qui ressemble à une olive. De ce fait elle était reconnue comme endémique des Îles Hawaï.
En 2002, le taxonomiste Middleton a utilisé comme critère la taille et la forme étoilée de la fleur pour la renommer Alyxia stellata et l’inclure dans un groupe beaucoup plus large qui se retrouve dans tout le Pacifique.
Middleton lui-même a admis que des recherches étaient nécessaires pour donner à la maile hawaïenne un statut de sous-espèce ou de variété. En effet, les variétés de Maile d’Hawaï se distinguent des autres Alyxia stellata du Pacifique par des ovaires glabres et un bouton floral plus petit.
La classification de Middleton, faite à partir de méthodes obsolètes, ne satisfait pas vraiment les botanistes. C’est pourquoi à Hawaï, ce sont les noms traditionnels qui sont majoritairement employés pour désigner les variétés. Les savoirs populaires permettent des références plus fines et plus justes que le nom latin.
Description et variétés
La Maile est une liane buissonnante ou buisson lianescent. Elle se sert des autres espèces comme support pour grandir et peut atteindre la canopée à plus de 60 mètres de hauteur en fonction du support.
Il existe 3 noms hawaïens pour décrire la Maile en fonction de son stade d’évolution. Kuhonua est la jeune pousse, le mot signifie littéralement "se tenir droit sur le sol". Moekahi désigne le plant, et Maile l’adulte, qui peut produire des fruits.
Les variétés principales hawaïennes sont nommées d’après les cinq déesses de la légende de La’ieikawai. On trouve aussi mention dans la mythologie hawaïenne des quatre ou cinq "soeurs Maile" qui sont des esprits gardiens de la forêt. Les noms des soeurs sont les 5 variétés "reconnues" de Maile hawaïenne basées essentiellement sur la morphologie de la feuille :
- Maile ha'i wale (maile aux feuilles fragiles) : petites feuilles arrondies
- Maile lau li'i (maile aux petites feuilles) : feuilles étroites et pointues
- Maile lau nui (maile aux feuilles larges)
- Maile pakaha (maile aux feuilles émoussées) : feuilles rondes
- Maile kaluhea (maile à la senteur douce)
Dans les années 70, Saint John, botaniste, a fait une classification selon la taille et forme des feuilles et a trouvé plus d’une dizaine de variétés de Maile, onze ou treize selon les rapports.
Parmi ces variétés supplémentaires, la Maile lau li’i li’i qui a de très petites feuilles est la plus connue. Une chercheuse a récemment retrouvé dans de vieux journaux la mention de la Maile lau lipo lipo qui se traduirait par maile aux feuilles sombres.
La grande variation dans la forme et la taille des feuilles de Maile a été depuis longtemps reconnue aussi bien par les savoirs populaires (Beckwith 1940) que par les botanistes (Hillebrand 1888, St. John 1975, Wagner et al. 1990, Mabberley 1998, Middleton 2002). Les variations de la feuille pourraient être dûes non pas uniquement à la variété de Maile mais aussi à son écotype, son environnement.
Le nombre de feuilles par noeud est également variable. La Maile peut présenter 2, 3 ou 4 feuilles par nœud. Une chercheuse a trouvé une maile avec 6 feuilles par noeud.
Les fleurs sont blanches teintées de vert ou de jaune. Elles comportent cinq pétales et cinq sépales. Les fruits mûrs sont de couleur violet foncé et se présentent par deux, trois ou quatre. Chaque fruit contient une graine.
Quelle que soit sa variété, la Maile est connue pour son parfum. C’est la présence de coumarine dans la sève qui donne sa fragrance si particulière à la plante. Les Mele, chants traditionnels Hawaïens, célèbrent aussi bien le fameux parfum de la Maile que ses lieux d’origine.
Habitat et milieu
Suite à la nouvelle classification de Middleton en 2002, ce dernier a indiqué qu’Alyxia stellata était répandue dans toutes les îles du Pacifique. On la trouve sur toutes les îles de l’archipel d’Hawaï sauf d'après des écologues sur Kaho’olawe et Ni’ihau. Il est très probable que la Maile ait été présente sur ces îles mais que les fortes perturbations de leur habitat aient entraîné leur disparition (Wagner et al. 1990). Cependant, les cartes de répartition de l'USGS montrent une probable présence sur ces deux îles.
Les lieux les plus célébrés dans les Mele (chants traditionnels) pour leur Maile sont Kohiahi sur l’île d’Oahu et Panahewa, vers Hilo, sur Hawai’i island (Grande île).
Historiquement on pouvait trouver la Maile entre 50 et 2000 mètres d’altitude, dans tous les milieux secs ou humides, ouverts ou forestiers. La Maile est souvent considéré comme une plante de forêt tropicale alors qu’elle pousse dans une grande variété de milieux.
Cependant, les recherches de Tamara Wong sur le type de substrat préférable pour la Maile ont montré que le sol de forêt tropicale était le meilleur substrat car les années sèches, le sol reste plus humide. Le taux de croissance est similaire mais le taux de survie des jeunes pousses est meilleur.
La Maile, par sa présence au niveau du sol et sa taille est une plante très importante écologiquement, elle a une grande influence sur le milieu dans lequel elle vit. Elle aide notamment à la pénétration de l’eau vers les couches basses du couvert forestier et à la rétention de l’eau au niveau du sol.
Si Alyxia stellata est un objet de recherche pour les taxonomistes, la Maile dans toutes ses variétés est plébiscitée aussi bien par les botanistes locaux et les praticiens culturels que par les habitants des îles Hawaï dans leur diversité.
Sources : recherche de terrain et interviews en avril 2015 ; publications : Hillebrand 1888; Kalakaua 1888 ; Beckwith 1940 ; Pukui 1942 ; St. John 1975 ; Wagner et al. 1990 ; Abbott 1992 ; Mabberley 1998 ; Middleton 2002 ; Whitehead 2006 ; Wong 2011. Remerciements particuliers aux chercheurs et écologues suivants : Tamara Wong, Namaka Whitehead, Kara Ueki, Jim Jacobi, Sam Ohu Gon.
Neobalanocarpus heimii (king) Ashton
Noms communs : chengal (cengal), cengai, penak
Le Chengal, Neobalanocarpus heimii, appartient à la famille botanique des Dipterocarpaceae, une famille de grands arbres a feuilles persistantes des régions tropicales.
Le genre Neobalanocarpus ne contient qu'une seule espèce.
Le Chengal est un grand arbre, pouvant atteindre jusqu'à 60m de haut. Le diamètre moyen du tronc est de 90cm. Celui-ci est droit et dépourvu de branches a la base (30 premiers mètres ou plus) si les conditions de luminosité et d'humidité sont idéales mais peut parfois être irrégulier et posséder des branches basses.
La croissance est irrégulière : une étude (Foxworthy, 1972) montre que le chengal croît lentement au début, puis plus rapidement après avoir atteint 25 cm de diamètre. Cette étude estime que le Chengal met 100 ans à atteindre 40 cm de diamètre. L'étude d'Appanah & Weinland (1993) suggère que le Chengal peut pousser plus vite lorsque les conditions de lumière et d'humidité sont optimales. D'autres études montrent une moyenne de 64 cm de diamètre en 75 ans. Un arbre record a été trouvé dans la réserve forestière Pasir Raja : il fait 65 m de hauteur, 16,75 m de circonférence, et a été estimé à plus de 1300 ans ! Il croît de 0,4 cm par an.
L'écorce externe, dure et présentant des fissures longitudinales peu profondes reparties irrégulièrement, peut avoir un aspect broussailleux sur les sujets âgés, se détachant en longues écailles de couleur sombre.
L'écorce interne, d'une épaisseur de 1.5 cm est fibreuse, jaune, exsudant une résine transparente, incolore ou dorée (le dammar).
Les rameaux sont minces, nervurés, glabrescents.
Les feuilles sont simples, alternes, épaisses, de forme elliptique à lancéolée, longues de 7 à 17 cm et larges de 2,3 à 5 cm, acuminées, à base arrondie. La nervation est pennée et présente 9 à 12 nervures légèrement creuses sur la face supérieure de la feuille mais proéminentes sur la face inférieure.
Le pétiole est long de 5 a 10 mm, les stipules oblongues et étroites.
L'inflorescence est une panicule, terminale ou axillaire, d'une longueur pouvant aller jusqu'à 9 cm. Les fleurs de petite taille (4 mm x 3 mm) sont bisexuées, actinomorphes (à symétrie axiale) et possèdent 5 pétales elliptiques, de couleur blanc crème ou jaune verdâtre, densément pubescents sur les bords. Les sépales sont au nombre de 5.
Le fruit est une noix cylindrique et oblancéolée. La germination des graines est rapide, 7 jours environ, et le pourcentage de germination est élevé (95,4% selon les recherches menées au FRIM).
L'aire de distribution du Chengal est limitée à la Malaisie péninsulaire. L'arbre est commun dans les forêts malaisiennes mais jamais abondant. Il est vraisemblablement éteint dans la partie la plus méridionale de la péninsule thaïlandaise et l'île indonésienne de Sumatra. Il est classé vulnérable selon les normes UICN.
Le nom Chengal est devenu courant, et, si d'autres arbres sont appelés ainsi (chengal passe, chengal batu, etc.), il ne faut pas les confondre car ils n'ont pas les mêmes propriétés et ne sont souvent pas de la même famille ! Le Neobalanocarpus heimii est reconnaissable par les petits trous créés par le scolyte ambrosia, qui n'altèrent en rien ses propriétés et sa résistance.
Le bois de Chengal est un bois dur avec une densité allant de 915 à 980 kg/m3 (Wong, 1982).
Naturellement durable, le cœur du bois n'a pas besoin de traitement supplémentaire pour un usage en extérieur. Par contre, en période de croissance de l'arbre, l'aubier (la partie juste sous l'écorce), peut se dégrader si le bois n'est pas traité. Les tests en conditions extrêmes (graveyard tests) effectués par le FRIM ont montré que le bois de Chengal non traité pouvait durer 14,7 années lorsqu'il était soumis à des conditions climatiques extrêmes (Mohd. Dahlan & Tam 1987). Le Chengal est naturellement résistant aux termites.
Sa résistance est expliquée par des phénomènes mécaniques, comme une lignine très serrée, et par ses propriétés chimiques.
Ses propriétés chimiques, étudiées par l'IKUS (Institut d’étude des remèdes naturels, dépendant de l'UITM - Université Technologique Mara), et qui peuvent expliquer sa résistance, viennent d'une incroyable concentration en polyphénols. La matière extractible des polyphénols représente 1/5 du poids sec de l'arbre.
L'IKUS a découvert de nouvelles molécules d'oligo-stilbènes grâce au Chengal. Ces molécules présentent des structures particulièrement complexes. Si les chercheurs arrivent à modéliser les structures de ces molécules, ils pourraient appliquer ces résultats sur d'autres composés chimiques et découvrir, pourquoi pas, les médicaments de demain !
(voir l'interview du Pr Weber à ce sujet)
(Sources : Plant Resources of South-East Asia, I Soerianegara et RHKJ Lemmens, enquête de terrain Mars 2009)
Le chengal est un arbre qui, par ses qualités chimiques et mécaniques, résiste particulièrement bien aux insectes et à la décomposition. Dans un pays tropical comme la Malaisie, ces propriétés sont justement valorisées et c’est pourquoi l’on trouve quantité d’usages du chengal : les maisons en bois traditionnelles, tout d’abord, avec leurs décorations et accessoires, mais aussi les bateaux, les traverses de voies ferrées, les poteaux électriques, débarcadères, ponts,… On a même retrouvé des moules à biscuits rituels en chengal datant du XIXe siècle. Respecté sans être pour autant vénéré, le chengal mérite le surnom qui lui est donné localement de "king of wood", roi des arbres !
Dans la plus grande partie de la Malaisie péninsulaire, les maisons traditionnelles étaient faites en chengal. Parmi les anciennes maisons, ce sont les seules qui ont résisté d’ailleurs ! Si la maison entière coûtait trop cher, le chengal était utilisé au moins pour les pilotis, la structure principale, et le plancher. Un autre bois était alors utilisé pour faire les murs. Les palais des sultans étaient composés de plusieurs maisons en chengal : une maison pour dormir, une pour recevoir, une pour manger, une pour les invités,…
Ces maisons traditionnelles étaient construites sur pilotis, d’une part pour éviter les débordements d’eau en cas de pluies importantes, d’autre part pour pouvoir effectuer à l’ombre un certain nombre de tâches quotidiennes, enfin pour se protéger des animaux sauvages. Certains pilotis étaient d’ailleurs assez hauts pour laisser passer des éléphants.
Il est raconté que les éléphants aimaient beaucoup se frotter contre les pilotis en chengal, assez résistants pour ne pas s’écrouler sous l’effet de leur poids !
Autrefois, il fallait des années pour fabriquer une maison. Le chengal était coupé, tiré jusqu’au fleuve par des buffles, puis flotté jusqu’au point d’arrivée où des buffles (ou des éléphants pour les sultans) le transportaient jusqu’au lieu de construction de la maison. Il fallait ensuite le faire sécher, ce qui pouvait prendre de six mois à plusieurs années, puis le travailler et enfin assembler la maison. Certains témoignages estiment entre six et dix ans le temps qui était nécessaire à la construction d’une maison. Moins s’il s’agissait de la maison d’un chef de village ou d’un sultan !
L’avènement des machines est venu en même temps que le goût pour les maisons en briques ou en béton, qui dès lors pour des questions de coût, de rapidité de construction, et de "mode" ont supplanté la maison traditionnelle en bois. Celle-ci n’intéresse plus que de rares passionnés… et les touristes !
Les maisons traditionnelles sont construites sans clous, juste par un système d’assemblage. De ce fait, il est possible de démonter complètement une maison et de la réassembler entièrement dans un autre lieu. C’est d’ailleurs ainsi que procèdent les musées et les hôtels de luxe, les seuls intéressés à préserver le patrimoine architectural. Certains ont acheté à des villageois ou à des sultans des maisons vraiment magnifiques ! Ainsi cet homme habitant près de Kuala Terengganu a acheté il y a quarante ans la maison "salon" d’un sultan, qui souhaitait un palais plus moderne, pour seulement 5 000 RM (soit un peu plus de 1 000 euros). Pour restaurer les vieilles maisons, les nouveaux propriétaires rachètent aussi parfois des maisons en très mauvais état pour en faire des pièces détachées. Le chengal neuf est utilisé en dernier recours, car son prix a beaucoup augmenté.
Les ornements des maisons sont aussi en chengal : tuiles décoratives, panneaux sculptés servant à ventiler les maisons, balustrades,… D’autres panneaux sculptés représentant des formules religieuses ou des motifs traditionnels servaient à protéger les maisons contre les influences néfastes ou les accidents. D’ailleurs ceux-ci sont encore utilisés de nos jours.
Une maison en chengal coûte très cher, mais un panneau ou un meuble est plus abordable, et le chengal permet de fabriquer des objets très durables, qu’ils soient utilisés en extérieur ou en intérieur. Portes, barrières, bancs, mais aussi lits, tables, chaises, armoires. Ces meubles n’existaient pas auparavant : les Malais utilisaient juste un coffre pour ranger les vêtements et les ustensiles de cuisine. Ils mangeaient par terre et dormaient directement sur le plancher des maisons, avec un matelas en paille. Les influences chinoise et occidentale ont rendu ces accessoires indispensables.
Ces pièces restent chères, mais ce n’est pas uniquement à cause de la rareté de la matière première. Les sculptures sont faites à la main, surtout celles en "3D", selon l’expression d’un fabricant.
Pour les rendre accessibles à un plus grand nombre, il définit trois catégories de sculpture : la sculpture en "2D" dessinée au pochoir et découpée à la machine, la moins chère, la sculpture en "3D", entièrement sculptée à la main, et la "2,5 D", un hybride composé de panneaux "2D" superposés pour donner un effet de "3D" !
Enfin, certaines sculptures sont de véritables œuvres d’art. Le chengal est alors apprécié par l’artiste pour ses qualités de durabilité : en effet, un artiste souhaite que son œuvre soit visible le plus longtemps possible… question d’ego m’a dit l’un d’eux ! Alors entre sculpter un bois qui disparaîtra au bout de quinze ans ou le chengal qui bien entretenu peut durer des centaines d’année, le choix est vite fait ! C’est d’ailleurs important pour le patrimoine culturel.
D’après Mr Lee, passionné du chengal, cet arbre est lié à la mémoire de la Malaisie. Si les sculptures des siècles passés n’avaient pas été en chengal, les Malaisiens n’auraient rien su de nombreuses traditions, du mode de vie à l’architecture, et même de la biodiversité des différentes époques, représentée sur les panneaux à motifs floraux. Tout autre bois aurait pourri. Ces panneaux sculptés sont les "livres d’histoire" de la Malaisie. Le chengal raconte les racines bouddhiques et hindoues des Malais, puis l’arrivée de l’Islam. Il raconte aussi l’intégration de toutes ces cultures.
Le chengal est un arbre majeur du patrimoine naturel et culturel malaisien. Il servait donc à construire les maisons et est encore utilisé aujourd’hui pour fabriquer du mobilier, les artistes le plébiscitent, et ses propriétés sont encore plus étendues ! En effet, il résiste aussi bien à l’eau douce qu’à l’eau de mer. Ce qui en fait un candidat idéal pour la construction des bateaux.
Les bateaux traditionnels sont fabriqués principalement sur l’île de Pulau Duyong (Ile de la sirène), aux abords de la ville de Kuala Terengganu. Il y a quelques dizaines d’années, il y avait une quarantaine de chantiers en activité. Aujourd’hui, il n’y en a plus que trois ou quatre. Le plus incroyable dans la méthode traditionnelle, c’est que le maître travaille sans plans : en connaissant la longueur et la largeur souhaitées du bateau, le maître peut composer l’ensemble sans avoir recours à des plans.
Les bateaux de pêche sont tous en chengal. Quant aux yachts et bateaux de plaisance, lorsque le bois est préféré à la fibre de carbone, c’est encore du chengal. Ce qui est devenu un luxe a un coût : sur un premier chantier nous avons observé un bateau de 75 pieds de long en construction, pour un coût total de 3,5 millions de Ringgits (presque 800 000 euros).
Sur un deuxième, un soixante pieds à 4 millions. Mais vu la rareté des commandes, ce n’est plus cet artisanat qui met le chengal en péril ! D’ailleurs, la construction de bateaux traditionnels est elle aussi menacée de disparition…
On ne sait plus vraiment comment cela a commencé : est-ce la rareté du bois, et son prix qui a augmenté en conséquence, qui ont détourné le peuple malaisien des maisons et des bateaux traditionnels ? Est-ce l’accès à d’autres matériaux plus abordables ? Ce qui est sûr, c’est que ce patrimoine culturel est directement lié à la protection du patrimoine naturel. Alors quelles sont les menaces qui pèsent sur le chengal et comment y remédier ?
Le lei est un ornement fabriqué avec des éléments naturels et porté autour du cou. Les Hawaïens considèrent comme un grand honneur de recevoir un lei de Maile, plante associée à Laka, déesse de la danse et à la forêt. Les leis de Maile sont particulièrement appréciés des danseurs de hula et sont offerts lors d’occasions spéciales comme le mariage, la remise de diplôme,... De la collecte à l'offrande, la richesse de la tradition est passionnante et révèle la profondeur de la culture hawaïenne.
TRADITIONS ET REFERENCES
D'après un maître culturel, l'usage de la Maile serait probablement aussi ancien que l'existence des Hawaïens car de nombreux mythes, prières et chants traditionnels mentionnent cette plante, et notamment la Maile lau li'i de Kaua'i, la Maile de Ko'iahi à O'ahu, et la Maile lau nui de Panaewa.
Par exemple, la légende de Pele et Hi'iaka décrit une femme "complètement recouverte de guirlandes de Maile lau li'i". Le fameux guerrier Kalelealuaka se serait couvert de leis de Maile lau li'i avant sa première bataille.
Le chant Noho ana i Hilo évoque "Les fleurs de Lehua des hautes terres arrosées par les fines pluies de Panaewa, dont les senteurs se mêlent avec celle de la Maile de Panaewa". Mary Kawena Pukui dans son livre de dictons et chants traditionnels 'Olelo no 'eau rapporte notamment les extraits suivants : Ka makani hali 'ala o Puna "le vent parfumé de Puna" ou Nani Puna po i ke 'ala "Belle Puna, chargée de parfums". Puna était connue pour les senteurs de Maile, Lehua et Hala. Il se disait que lorsque le vent soufflait depuis la terre, les marins pouvaient sentir le parfum de ces plantes.
Le parfum d'un lieu est un élément important pour les Hawaïens, c'est un signe que le lieu est sacré. Si une personne se trouve dans un temple ou sur le lieu d'un ancien temple et sent le parfum de la Maile, elle saura que les esprits de ses ancêtres sont avec elle et qu'ils l'entourent comme un lei entoure le cou. Les Mele kanikau (chant écrits pour un être aimé décédé) mentionnent souvent la Maile dont la senteur rappelle la personne aimée.
Dans la mythologie hawaïennne, la Maile est rattachée à Laka, déesse du Hula, un art cérémonial hawaïen de chants et de danses, et de la forêt. La Maile est une des 5 plantes qui étaient autrefois placées sur l'autel du hula, le kuahu hula. La Maile est aussi considérée comme le kinolau de Laka, une des formes sous lesquelles la déesse Laka apparaît sur terre, une plante dans laquelle elle s'incarne. Différentes prières témoignent de cette croyance.
Le chant suivant, Pupu weuweu e, Laka e utilisé pour demander la permission d'entrer dans la forêt et de récolter les plantes de Laka, fait référence à la Maile :
Pupu weuweu e, Laka e.
O kona weuweu ke ku nei !
Kaumaha a'e la ia Laka.
O Laka ke akua pule ikaika.
Ua ku ka Maile o Laka a imua,
Ua lu ka hua o ka maile,
Noa, noa ia'u,…
"Récolte la verdure de Laka.
C'est sa verdure qui apparaît devant nous.
Nous révérons Laka.
Laka est la déesse des prières puissantes.
La Maile de Laka se présente à nous,
Répands les graines de la Maile.
Libre, je suis libre... "
USAGES COURANTS
L'usage principal de la Maile est donc le lei. Symbole de paix, d’engagement, de réussite, offrir ou porter un lei c’est aussi recevoir la force et l’abondance de la forêt. La Maile est perçue comme un cordon ombilical avec la terre, c’est pourquoi les Hawaïens y sont très attachés.
Dans le livre "Plants of Hawaii National Park – Plants and customs of the South Seas", l’auteur rapporte qu’en temps de guerre, les chefs souhaitant un armistice se retrouvaient dans un heiau, un temple, et tressaient ensemble un lei de Maile. Quand le lei était terminé, alors les hérauts annonçaient la bonne nouvelle au peuple.
Les danseurs de hula, rendent hommage à Laka et s’en inspirent en portant un lei de Maile. Lors du Merrie Monarch Festival, le grand festival annuel de hula à Hawai’i, des compagnies entières portent des leis de Maile, seuls ou en plus de leis floraux accordés à la danse choisie, notamment pour les danses de style ancien.
Une fois un spectacle de hula terminé, les leis doivent retourner à la nature : au cœur du volcan ou au pied d’un arbre en fonction de ses possibilités.
Le lei de Maile est aussi offert lors d’événements de la vie : diplôme, mariage, enterrement, inauguration, fête honorifique pour un lieu ou une personne,…
Le lei de Maile est ouvert des deux côtés. La partie gauche qui est la partie douce et la partie droite, qui est la partie forte, se rejoignent dans le lei et créent un équilibre. La personne qui l’offre au destinataire le pose sur ses épaules, puis, sauf dans le cas d’une femme enceinte, le referme pour que l’énergie de la personne et du lei circulent et ne s’échappent pas.
Après la cérémonie de remise de diplôme, la famille remet au jeune diplômé un lei de Maile. Il peut arriver que, de nombreux membres de la famille ayant participé à la collecte, les leis soient formés de plus de vingt brins! La remise du lei de Maile rajoute un grand honneur à la remise du diplôme.
Lors d’enterrements, un lei de Maile peut être mis dans le cercueil. Pour la famille, cela symbolise les événements de la vie de la personne tressés ensemble pour en faire un parcours de vie, des souvenirs qui seront emportés dans l’au-delà et qui formeront un lien avec ceux qui restent. Lorsque le sénateur de Big Island est décédé en 2013 aux Etats-Unis, ses proches ont demandé à déposer un lei de Maile dans le cercueil car c'était une figure emblématique de l'île. En 24 heures, un lei a été récolté, tressé puis envoyé par avion pour pouvoir le mettre dans le cercueil.
Il n’est pas rare de voir dans les maisons hawaïennes des portraits de personnes décédées avec un lei de Maile séché autour, qui symbolise le lien qui unit toujours la personne avec les habitants du lieu.
La demande de leis est donc constante certainement car elle accompagne la vie des Hawaïens de la naissance à la mort.
Les autres usages de la Maile sont peu nombreux. Des documents anciens révèlent que le jeu de ‘ume, jeu "amoureux" par lequel les personnes âgées désignaient autrefois les jeunes gens qui devaient s’accoupler était pratiqué avec une baguette de Maile.
De nos jours, la Maile est aussi utilisée en cosmétique artisanale pour son parfum mais les fabricants n’ont pas encore réussi à capter son parfum caractéristique…
LA COLLECTE DE MAILE
Prisé par les anciens Hawaïens comme le matériau le plus noble pour fabriquer un lei, la Maile est une plante dont la collecte réclame traditionnellement de gros efforts : marcher dans les forêts sur des versants escarpés, récolter les robustes lianes en s’écorchant les doigts puis tresser les brins pour en faire un lei. Pas étonnant que recevoir un tel présent soit un grand honneur !
Traditionnellement, les personnes qui veulent cueillir la Maile pour fabriquer un lei se rassemblent, avec le halau (école de hula), en famille, avec des amis. En arrivant dans la forêt, ils offrent une prière à la forêt pour que la récolte se passe bien. Ils tressent le lei au fur et à mesure en y mettant des intentions pour le destinataire et quand ils ont terminé ils offrent une action pour la forêt : disperser des graines, enlever quelques plantes invasives,…
D’autres traditions complètent ce protocole. Par exemple un sac de riz blanc était utilisé auparavant pour collecter la Maile car le blanc symbolise la pureté. Aujourd’hui ceux qui veulent respecter la tradition utilisent une taie d’oreiller blanche. Des cueilleurs utilisent uniquement leur main droite pour récolter, car elle correspond au côté fort (« ku »). Le côté doux, la main gauche, sera utilisée pour positionner le lei sur les épaules du destinataire. Certains cueilleurs respectent une coutume encore plus exigeante, celle de tresser les « 5 soeurs », les 5 variétés de Maile dans un même lei pour équilibrer le lei. Cela demande de parcourir de longues distances dans la forêt car ces variétés ne se trouvent ni à la même altitude, ni au sein des mêmes types de forêt.
La Maile rend la forêt assez impénétrable, mais le cueilleur ne se plaint pas car il respecte cet enseignement de la plante : le forcer à ralentir le rythme et apprécier la forêt !
La récolte de la Maile a la réputation d’”arracher la peau des doigts”, et les cueilleurs réguliers le savent bien ! Un cueilleur occasionnel nous a même confié que la douleur qu’il ressent en récoltant et en écorçant la Maile montre au destinataire du lei, pour un mariage ou un diplôme, que symboliquement ceux qui lui offrent le lei seront là pour partager les peines et les douleurs de la vie.
Un cueilleur peut suivre le même protocole pour une plante cultivée dans son jardin que pour une plante cueillie en forêt : prière pour demande la permission, tresser le lei, offrir une action au jardin en remerciement,…
Aujourd’hui, la tradition complète est cependant peu respectée, chacun se l’approprie pour suivre son propre protocole. Et si autrefois tous les leis étaient fabriqués au sein des familles ou des halau, depuis quelques dizaines d’années on en trouve dans les boutiques des centres villes. Les cueilleurs professionnels, qui fournissent les boutiques, n’ont souvent aucun protocole traditionnel et répondent juste à la demande.
Que ce soit pour une récolte personnelle ou professionnelle, un permis est obligatoire, car la loi interdit toute récolte de plantes dans le domaine public sans permis. Ce permis est gratuit pour la récolte privée.
Plusieurs théories s’opposent sur le meilleur mode de récolte (voir menaces). Un des principaux fournisseurs de leis de Maile sur la Grande Île demande à ses cueilleurs de laisser trois nœuds de feuilles et de couper au-dessus. Seules les tiges tendres peuvent être récoltées pour faire un lei avant que l’écorce ne durcisse, mais il faut en laisser suffisamment pour ne pas détruire la plante.
LA CONSOMMATION DE MAILE
Ce fournisseur nous a donné les chiffres suivants.Il compte à peu près 12 variétés de Maile et le prix du lei dépend de la difficulté de trouver la Maile en forêt. Par exemple, il achète au cueilleur 8$ le lei fabriqué avec la variété la plus proche, celle à petite feuille. Le lei est généralement à trois brins. Il les vend aux boutiques entre 12 et 20$ et les boutiques les vendent entre 30 et 60$. Le prix dépendant de la variété de la Maile.
Les leis d'autres îles du Pacifique, tressés avec des variétés différentes de Maile, paraissent plus fournis car les feuilles sont plus grosses mais ne sentent pas le parfum typique de la Maile hawaïenne qui est recherché par les connaisseurs !
Le fournisseur a en moyenne trois cueilleurs qui travaillent pour lui et fournit environ 250 leis de Maile par semaine. Lors du Merrie Monarch et des semaines de remises de diplôme, on lui en demande parfois plus d’un millier par semaine.
Son succès en fait un objet de consommation courant, tellement demandé que l’import d'autres îles du Pacifique, notamment des Îles Cook, est nécessaire. Cet import massif de la Maile des Îles Cook est déjà mentionné dans des articles de presse locale datant de 1976, 1978 et 1981. Pourtant, dans les Îles Cook la Maile locale n’était pas utilisée pour fabriquer des leis, au contraire d’autres voisins du Pacifique comme les Îles Tonga.
Cordon ombilical avec la terre, lien entre danseur et son inspiratrice, lien entre récolteur et destinataire du lei, lien entre vivants et ancêtres, lien entre conjoints, la Maile est une plante sociétalement primordiale. Une prière à la forêt pourrait s’appliquer à la Maile : I ola 'oe, i ola M?kou nei, "Parce que tu vis, nous vivons". Alors pourquoi cette plante est-elle actuellement fragilisée ?
Sources : recherche de terrain et interviews en avril 2014 ; Honolulu star Bulletin de 17/09/76 et du 09/03/91, Honolulu advertiser du 30/06/78, Sunday star bulletin and advertiser, 07/06/81 ; Mary Kawena Pukui "‘Olelo no ‘eau" ; Marie A McDonald et Paul R Weissich "Na Lei Makamae" ; Degener "Plants of Hawaii National Park – Plants an customs of the south seas".
Pour en savoir plus sur le Hula en France :http://www.festivalartsdhawaii.com/halau-hula-o-manoa.html
Si Alyxia stellata n’est pas considérée comme menacée, la Maile hawaïenne est en déclin constant depuis plus d’un siècle et la tendance s’accélère. Certaines menaces concernent toutes les espèces endémiques des îles Hawai’i: destruction et modification de l’habitat, déséquilibres induits par les espèces invasives (plantes, animaux, bactéries),… D’autres caractéristiques sont propres à la Maile, comme le manque de dispersion des graines ou les méthodes de cueillette non durables.
UNE QUESTION DE TAXONOMIE
Certains chercheurs pensent que si Alyxia stellata n’est pas menacée, la Maile, Alyxia stellata endémique d’Hawaï (autrefois appelée Alyxia oliviformis jusqu’en 2002) et ses variétés pourraient l’être. Sa classification dans un groupe plus large incluant les autres variétés du Pacifique aurait donc modifié son statut.
Nous considérerons ici le cas spécifique de la Maile, à Hawaï donc, puisque les défis et menaces auxquels font face les variétés endémiques sont documentés pour le cas spécifique d’Hawaï.
HABITAT
Un peu de géographie et d’histoire sont nécessaires pour comprendre l’évolution écologique des Îles Hawai’i. Les Polynésiens avaient conçu un système nommé ahupua’a qui permettait à une communauté de gérer des terres de la montagne à l’océan, en passant par les différentes altitudes et les différents sols. Ce système permettait à tous de trouver les ressources nécessaires en eau, végétaux et animaux. Avec l’arrivée du Capitaine Cook en 1778 et la vague d’immigration qui a suivi, les règles d’attribution des parcelles ont été modifiées et en 1848 un acte juridique a confirmé cette nouvelle répartition. Ces règles prenaient en compte la taille de parcelle cultivable, notamment pour la canne à sucre, et non le paysage et l’écosystème.
La déforestation a été massive entre 0 et 600 mètres d’altitude et des écosystèmes riches en biodiversité ont été convertis en monoculture de canne à sucre, ce qui a entraîné la perte de nombreuses espèces qui vivaient dans ces forêts de basse altitude.
La Maile a fait partie des espèces très affectées par ce phénomène surtout parce qu’elle était essentiellement distribuée dans ces forêts, elle a perdu plus de la moitié de son habitat en quelques dizaines d’années.
ESPECES VEGETALES INVASIVES
Après cette déforestation massive, dans les années 1920, l’eau de pluie ruisselait jusqu’à la mer et n’alimentait plus les nappes phréatiques, les rivières s’asséchaient. La culture de la canne à sucre nécessitant de grandes quantités d’eau, les propriétaires des plantations se sont réunis pour trouver une solution. A cette époque, ils se sont dit que s’ils replantaient des espèces d’arbre locales, les gens allaient les couper pour les usages auxquels ils étaient habitués.
Alors les propriétaires de plantation ont missionné le Dr Harold Lyon, botaniste, pour trouver dans le monde des espèces d’arbres à adaptation et croissance rapide, sans intérêt commercial. Ils pensaient ainsi reforester et protéger la forêt à long terme. Ce programme a complètement bouleversé les écosystèmes hawaïens en précipitant la disparition d’espèces locales bien au-delà des zones de plantation.
Et c'est bien la définition d'une espèce invasive : ce n'est pas une espèce intrinsèquement dommageable à un écosystème, puisque dans son écosystème d'origine elle participe à son équilibre, c'est une espèce qui n'est pas à sa place et qui déséquilibre son nouvel habitat.
Parmi ces plantes, il y a le Schaefflera actinophylla (arbre ombelle) d’Australie, le Clusia rosea (arbre autographe) de la forêt amazonienne, le Ficus microcarpa (ficus ginseng) d’Asie, le Psidium cattleyanum (goyavier-fraise) du Brésil.
Une autre plante est sur la liste des espèces invasives les plus destructrices, Hedychium gardnerianum (longose), appelée localement "kahili ginger" ou "Himalayan ginger". Elle a été importée comme plante ornementale par des américaines qui trouvaient que leur jardin manquait de fleurs. A cette époque, elles ne savaient pas que leur geste allait avoir des conséquences dramatiques !
Ces espèces sont à croissance très rapide, la compétition est trop rude pour les espèces locales, dont la Maile. Cette dernière peut mettre plus d’un an à germer et pousser comme le montre une étude en cours. Alors qu’il ne faut que quelques jours pour certaines invasives... Ainsi, lorsque les forêts d’Hawaï ont été frappées par d’importants ouragans il y a quelques années, les premières plantes à repousser ont été les longoses et goyaviers-fraises.
Les espèces invasives poussent aussi très bien à l’ombre et forment une couverture du sol qui étouffe les autres plantes. Les plantes sont en concurrence pour l’espace ainsi que pour les ressources en eau et en nutriments du sol. Cette compétition est généralement remportée par les espèces invasives au détriment des espèces locales.
Leurs graines sont petites et les oiseaux les dispersent sans problème sauf pour les fougères arborescentes australiennes dont les spores sont facilement dispersés par le vent. Ce qui explique que toutes les forêts soient affectées par le problème.
De plus, le goyavier-fraise sécrète des substances allélopathiques qui empêchent d’autres plantes de pousser autour de lui, générant des problèmes supplémentaires dans le couvert forestier.
Tous ces défis pour la Maile contribuent à la fragiliser, tout comme de nombreuses espèces endémiques. L’état d’Hawaï dispose d’une liste d’espèces interdites à l’importation, mais ce sont les espèces déjà identifiées comme invasives ! D’autres pays disposent d’une liste exclusive d’espèces autorisées et pour importer d’autres espèces il faut pouvoir prouver qu’elles ne sont pas menaçantes pour la flore locale. Ce n’est pas le cas à Hawaï.
ESPECES ANIMALES INVASIVES
Les ongulés sauvages apportés par les immigrants pour l’élevage ou la chasse sont souvent considérés comme très dommageable pour la biodiversité locale.
Les petits cochons sauvages polynésiens pesaient entre 20 et 30 kg maximum, leur impact était limité dans les forêts. Puis les immigrants sont arrivés après Cook et ont apportés avec eux les cochons européens. Ils se sont reproduits entre eux et maintenant les cochons sauvages pèsent plus de 150 kg et se reproduisent vite. L’impact est dévastateur sur la forêt. En plus des quantités de nourriture qu’ils ingèrent, ils déracinent les petites pousses comme celles de la Maile quand ils fouissent le sol à la recherche de nourriture.
Les cerfs ont été introduits plus tard pour la chasse. Leur population croit très vite et au contraire des petits mammifères endémiques, ils se nourrissent en hauteur. La Maile peut donc compter sur un prédateur supplémentaire.
Enfin, une étude a montré l’impact négatif des rats sur les populations de Maile. Là encore, au fur et à mesure des vagues d’immigration, des espèces différentes de rats sont arrivés sur les îles. La Maile produit des graines assez grosses et les rats se nourrissent de ces grosses graines dans les forêts, contribuant à leur destruction plutôt qu’à leur dispersion.
Parfois, on se dit que les humains pourraient bien être également considérés comme une espèce invasive pour la flore locale !
MENACES SPECIFIQUES SUR LA MAILE
Les graines de la Maile sont donc assez grosses et les oiseaux frugivores qui auraient pu disperser les graines de la Maile ont quasiment tous disparus. Ces oiseaux nichaient au sol mais les espèces apportées par l’homme ont détruit les nids et condamné ces oiseaux.
Il ne reste que deux espèces d’oiseaux frugivores, la Corneille hawaïenne, ou Alala (Corvus hawaiiensis) qui a disparu à l’état sauvage, et le Solitaire d’Hawaï, ou ‘Oma’o (Myadestes obscurus). La taille du fruit de la Maile est à la limite de ce que ce dernier peut avaler, alors s’il a le choix entre un autre fruit et la Maile, il n’ira pas naturellement vers la Maile.
Il n’y a donc plus de dispersion animale de Maile actuellement ce qui limite fortement sa régénération.
Par ailleurs, si la récolte est pratiquée de manière durable, cela n’affecte pas la plante. Mais les récolteurs particuliers ou professionnels n’ont pas toujours été initiés et formés à la récolte durable. Si la plante est récoltée trop jeune et quand elle est trop petite, alors elle ne survivra probablement pas.
Il existe deux méthodes principales pour récolter la Maile : l’une consiste à couper la tige écorcée pour que la blessure de la plante soit la plus petite possible. Cela éviterait que de nombreuses maladies et bactéries pathogènes nouvellement introduites détruisent la plante. L’autre méthode consiste à laisser la tige écorcée sur la plante pour lui laisser une chance de se régénérer ainsi. Une étude est actuellement en cours pour déterminer la méthode qui serait la moins dommageable pour la plante.
Le problème est également la surexploitation : il y a actuellement 1 million de pratiquants de hula (au Japon notamment) et plus de 8 millions de visiteurs par an. Comment faire face à cette demande de Maile ? Les leis importés ont de plus modifié la demande de leis de Maile. Les variétés des Îles Cook par exemple ont des feuilles plus grosses et des tiges plus fournies, même si elles n’ont pas de parfum. Cependant, la demande est croissante pour des leis bien fournis, épais (et parfumés) alors que certaines variétés de Maile ne s’y prêtent pas. Il faut donc rajouter des brins aux leis vendus habituellement dans les boutiques.
RICHESSES MECONNUES
C’est d’ailleurs un problème plus global. Si le public ne sait pas vraiment comment se présentent les différentes variétés de Maile locales, il existe un manque de connaissance général sur les espèces endémiques.
Les Îles Hawai’i sont des championnes en terme d’endémisme sur la planète, mais peu d’habitants ont la chance d’être en contact avec ces espèces endémiques au quotidien. Peu d’entre eux se rendent compte de l’incroyable richesse de la biodiversité locale qui vient de la position géographique particulière au cœur du Pacifique, entre volcans et océan.
Le manque d’interactions avec les espèces dans leur écosystème induit des comportements de consommation loin des interactions spirituelles des anciens…
La Maile hawaïenne est donc une espèce fragilisée, en déclin malgré son importance culturelle majeure. Quelles seraient les solutions pour la préserver et avec elle les autres espèces endémiques ?
Sources : Recherche de terrain et interviews en avril 2014 ; Shiels and Drake 2011, Wong unpublished work ; Buck 2003 ; Ticktin, Fraiola and Whitehead 2006 ; Honolulu star Bulletin de 17/09/76 et du 09/03/91, Honolulu advertiser du 30/06/78, Sunday star bulletin and advertiser, 07/06/81.
Préserver la Maile, c'est d’abord mieux comprendre son fonctionnement écologique et biologique et préserver son écosystème. C'est d'autre part se réapproprier les traditions qui entourent la plante de la graine au lei et qui encouragent à semer, planter, mieux récolter, éduquer pour enfin apprécier pleinement cette plante sacrée.
RESTAURER ET PRESERVER LA FORET HAWAIENNE
Arrêter le déclin de la Maile, c'est préserver son écosystème, la forêt indigène. Différentes pistes d'actions sont explorées par les associations et les écologistes locaux.
La première, c’est l’arrachage des espèces végétales invasives. Cette action est envisageable uniquement dans les zones qui ont gardé au moins 75% d’espèces indigènes, sinon le dommage est déjà trop grand.
Les associations ou les parcs nationaux qui pratiquent cette lutte contre les espèces invasives repèrent les zones qui contiennent de préférence des espèces menacées et qui se prêtent à une régénération naturelle des espèces locales.
Les espèces invasives animales, notamment les populations d’ongulés, doivent être contrôlées soit par éradication, soit en plaçant des clôtures autour des zones les plus fragiles ou qui viennent d’être replantées afin de protéger les jeunes pousses.
La préservation de la forêt restante est indispensable, cela peut passer par la replantation d’arbres endémiques emblématiques comme le Koa et l’Ohia, ce qui a été la préoccupation pendant des années. Maintenant il est aussi admis qu’il faut y ajouter la reconstruction d’un couvert forestier constitué de mousses, de fougères, et bien sur de Maile. Ces espèces aident à conserver l’eau pour toutes les espèces présentes. Dans les programmes dits de "restauration bioculturelle", la Maile tient donc une place de choix.
SEMER
Un acte facile pour préserver la Maile a dû être pratiqué dans les temps anciens car des chants traditionnels y font référence, comme celui cités dans Les usages. Ua lu ka hua o ka Maile: "Répands les graines de la Maile".
En effet les graines peuvent s’accrocher des années sur la plante alors aider la Maile à disperser ses graines est important et d’autant plus crucial que les oiseaux qui remplissaient ce rôle ont disparu.
C’est une action facile à la portée de tous. Il suffit de trouver un fruit de Maile très foncé et charnu. Quand on le presse entre ses doigts, il s’écrase. Il suffit alors de prendre la graine, de nettoyer la pulpe qui l’entoure et la semer dans un endroit lumineux, sans herbe et sans autre Maile (puisque le but est de la répandre !).
Avant, les femmes semaient les graines de Maile dans des endroits accessibles, près des sentiers pour faciliter la récolte.
Cependant, pour assurer le succès du semis, il est toujours préférable de semer dans le même type d’environnement (altitude, type de forêt,…). A Hawai’i souvent les graines de Maile sont récoltées en haute altitude parce que les habitats ont moins subi de pressions et de dégradations, par contre les graines sont plantées à basse altitude puisque c’est là que les habitants vivent et souhaitent récolter et c’est souvent là que les programmes de restauration ont lieu. Or le taux de succès est bien moindre dans ce cas. Il est préférable de choisir de la Maile de basse altitude.
PLANTER
Semer est une action possible, planter en est une autre. Depuis quelques années, les plants de Maile sont de plus en plus demandés avec la tendance qui s’affirme de vouloir cultiver les plantes que l’on aime ou que l’on utilise.
Des projets de ferme de Maile sont en cours sur les îles de Kaua’i et la Grande île. Ces fermes expérimentent des techniques qui pourraient être utiles à tous ceux qui veulent en planter. Ils espèrent faire des récoltes ainsi que produire des plants.
Pour les projets de restauration ou pour les particuliers qui veulent planter de la Maile, une recherche a établi que plusieurs facteurs pouvaient contribuer au succès de l'opération :
- planter dans un endroit à l'ombre et bien drainé, car si la Maile aime l'eau, elle n'aime pas avoir ses racines dans l'eau stagnante.
- planter des jeunes plants ou des adultes, pas des plantules car le taux de mortalité trop fort. Pour déterminer la différence, l'âge n’est pas fiable il faut utiliser le diamètre basal.
- bien travailler le sol pour imiter un sol forestier. Dans les basses terres, à cause de l'agriculture intensive le sol manque souvent de matière organique. Il faut donc le revitaliser (avec des méthodes naturelles bien sûr !).
- de même que pour le semis, planter des espèces de Maile adaptées à l’environnement (altitude,…)
RECOLTER DANS LE RESPECT DE L’ENVIRONNEMENT
Que la récolte soit personnelle ou professionnelle, il est important de respecter certaines règles pour préserver la Maile.
Une étude est donc en cours pour déterminer quelle technique est la moins dommageable pour la plante. Certains pensent qu'il faut couper la tige qui sera ensuite écorcée, car la blessure infligée à la plante est plus petite et laisse moins de possibilités de s'introduire aux bactéries pathogènes qui pourraient tuer la plante. D'autres écorcent la tige sans la couper, arguant que la plante peut se refaire une écorce mais qu'au moins la partie centrale de la tige reste sur la plante le traumatisme étant moins grand. L'étude en cours, sur plusieurs années, vise à montrer quels sont les impacts de chaque technique en termes de développement de la plante, de production de fruits, de repousse, etc. L'étude montre déjà que quelle que soit la méthode choisie, la récolte épuise la plante et le diamètre des tiges qui repoussent est plus petit.
Certaines règles s'appliquent donc dans tous les cas : récolter la quantité juste selon son besoin, ne pas choisir de plant et de tige trop petits, ne pas prélever plus de deux tiges par plant, choisir de prélever à partir d'un plant mature qui a plus de ressources pour se régénérer.
Dans les fermes de Maile également des études sont en cours pour voir quel est le meilleur moment pour récolter, combien de récoltes par plant sont possibles,...
Dans les prochaines années, de nouvelles données devraient donc permettre de savoir comment mieux récolter pour mieux préserver la Maile.
KULEANA
Après la récolte (voir Les usages), traditionnellement une action est réalisée pour remercier la forêt du don de Maile. Plus largement, la tradition évoque le Kuleana. C’est un très beau concept évoquant à la fois le droit et la responsabilité. Une personne a le droit d’accéder à la forêt et de prélever des ressources mais a la responsabilité d’en prendre soin et d’établir une relation avec la forêt.
C’est souvent cette deuxième partie qui est oubliée de ne jours dans le monde, et ce concept hawaïen devrait être connu de tous. Les associations qui oeuvrent à restaurer la forêt tentent de rétablir le sens du Kuleana dans les communautés et un mot d’ordre est Malama aina, "prendre soin de la terre".
Pour la Maile, l’application du Kuleana peut donc être de semer, planter, nettoyer la zone de récolte des plantes invasives ou des déchets divers.
La Maile est une plante essentielle dans l’écosystème forestier hawaïen. De toutes les plantes significatives pour les Hawaïens, c’est aussi une de celles qui a le plus de chance d’être restaurée dans des zones accessibles à tous, où les habitants peuvent facilement y accéder et apprendre à l’apprécier. Par son côté sacré et sa notoriété pour la fabrication de lei c’est aussi l’un des meilleurs outils pour reconnecter les gens à la forêt et à leur sens des responsabilités !
Sources : Recherche de terrain et interviews en avril 2014 ; étude en cours de Namaka Whitehead ; étude en cours de Tamara Wong ; Ferme de Mahi’ai’Ihi à Wailea.
Les inventaires forestiers nationaux malaisiens ont montré que le chengal était de plus en plus difficile à trouver dès les années 80. La diminution en volume et en nombre d’arbres par hectare des chengals de plus de 45 cm de diamètre a été mesurée, que ce soit en forêt vierge ou dans les forêts destinées à l’exploitation.
Même si on le trouve dans toutes les forêts de la Malaisie péninsulaire, il a déjà disparu d’Indonésie et de Thaïlande. Alors pourquoi cet arbre soi-disant résistant à tout est-il aujourd’hui classé comme vulnérable ? Il y a bien sûr plusieurs raisons.
La première raison est naturelle.
D’une part, même si l’arbre appartient à la famille des diptérocarpacées, ce qui signifie "graine avec deux ailes", au cours de l’évolution, la graine a perdu ses ailes... Ce qui rend la dispersion difficile puisque la graine ne "vole" pas, elle tombe sous l’arbre mère. Au bout de quelques années, les jeunes arbres vont alors rentrer en compétition pour la lumière et un nombre très réduit d’entre eux va pouvoir se développer.
Les animaux non plus ne contribuent pas à la dispersion des graines. C'est probablement dû au fort pourcentage d'alkaloïdes dans la résine, substances répulsives. De plus, si les graines au sol ne sont pas mangées par les mammifères, des pertes substantielles sont dues au fait que les animaux les goûtent puis les rejettent (Elourd et al. 1996).
Ensuite, et c’est peut-être la raison la plus importante, l’arbre a une croissance extrêmement lente. Les observations et les études varient, mais en moyenne l’arbre met soixante ans avant d’atteindre la taille légale d’exploitation, en fonction des conditions extérieures. C’est très lent. Mais pour se construire une structure aussi solide, l’arbre a besoin de temps. Or nous vivons dans une société qui n’en a pas ! Poussés par la productivité et la rentabilité à court terme, les hommes ne sont pas intéressés par replanter le chengal. Ils préfèrent traiter chimiquement un arbre moins résistant mais à la croissance plus rapide… Par contre, ceux qui restent sont précieux : un arbre sur pied vaut 50 000 Ringit (10 500 euros environ). On l’exploite, donc, à un rythme dépassant son rythme de régénération naturelle, mais on ne le plante pas.
Les autorités forestières ont fixé depuis 1987 la limite inférieure pour la coupe du chengal à 60 cm de diamètre, alors qu'elle est de 45 cm de diamètre pour les autres arbres. C’est bien, mais ce n’est pas encore suffisant. Pour protéger réellement l’arbre, un expert nous a affirmé qu’il faudrait encore augmenter de 10 à 15 cm cette limite...
De plus, un consultant forestier expliquait que dans les forêts dédiées à l’exploitation ("production forests", en opposition à "protection forests"), les exploitants devaient laisser un certain nombre d’arbres mères par hectare. Or, l’espèce n’est pas spécifiée. C’est un problème car on peut par exemple avoir une zone riche en chengal, le couper pour profiter de sa valeur économique, et laisser des arbres mères d’une autre espèce. Ce qui ne va pas faciliter la régénération du chengal puisque les graines ne voyagent pas !
Si la surexploitation a rendu l’espèce vulnérable, il est important de noter que la coupe illégale n’est pas réellement une menace. En effet, comme le bois illégal est flotté et transporté par voie d’eau, il y a des risques qu’il soit pourri et de mauvaise qualité, alors que le bois "légal" ne comporte pas ces risques. Donc même s’il est moitié moins cher, à 5/6 000 RM la tonne (1 000/1 200 euros) au lieu de 10 000 RM, ce n’est pas rentable pour un acheteur. La corruption liée au trafic de bois est elle-aussi très faible car comme il y a de moins en moins de chengal dans les parcelles exploitables, l’infraction serait trop évidente…
Parmi les menaces bien réelles, citons également celles qui pèsent sur l’écosystème forestier dans son ensemble. Les forêts asiatiques font face à un problème important depuis plusieurs années : la transformation des zones forestières en zones de plantation mono-espèce. Le principal problème vient du palmier à huile. Economiquement très rentable, la production d’huile de palme est essentiellement destinée à l’exportation. Le gouvernement malaisien encourage les propriétaires de parcelles forestières à transformer celles-ci en plantations, à travers un plan de promotion d’une dizaine d’espèces (palmiers à huile, mais aussi hévéa, eucalyptus,…). La culture du palmier à huile bénéficiant des plus forts lobbies, c’est aussi celle qui bénéficie des aides les plus intéressantes : don des graines, prêt à taux zéro avec remboursement en pourcentage des revenus générés, débouchés assurés,…
Le défi pour la forêt est donc d’être plus rentable que les plantations mono-espèces, et cela concerne notamment les forêts d’exploitation puisque leur but est, comme les plantations, la production de valeur économique.
L’histoire du peuple malaisien nous invite aussi à considérer l’aspect sociologique. Pour ce peuple de marins et d’agriculteurs qui a dû se développer entre la mer d’un côté et la jungle pas forcément hospitalière de l’autre, la forêt revêt une importance particulière. Elle est considérée comme "habitée". Les Malaisiens craignent encore beaucoup les esprits de la forêt, les anciennes croyances n’ont pas disparu, malgré l’islam, religion d’état. Les familles n’envoient pas leurs enfants dans la forêt, les considérant trop petits pour lutter contre les esprits malfaisants. Raser des hectares de forêt est donc considéré comme un acte positif pour de nombreux Malaisiens, puisque cela permet d’éradiquer les fantômes qui y avaient élu domicile. Ils n’en parlent pas ouvertement, c’est donc un fait assez difficile à appréhender pour les étrangers, mais la résistance est bien réelle.
Les dirigeants sont donc partagés entre l’opinion internationale qui leur demande de préserver un maximum de forêt, et la pression des locaux (leurs électeurs…) pour éradiquer ces zones "dangereuses".
Enfin, l’aspect politique est également à considérer. Il faut se rappeler que la Malaisie est comme une fédération d’états. Ces états sont souverains. La gestion des forêts est notamment du ressort de l’état et non du gouvernement malaisien. Si le système fonctionne très bien dans de nombreux domaines, l’application de programmes environnementaux nationaux est plus compliquée car elle dépend des intérêts de chaque état... Espérons qu’ils s’uniront pour préserver les écosystèmes, ainsi que les espèces endémiques et de grande valeur comme le chengal !
Toutes les personnes rencontrées lors de l’enquête de terrain sont optimistes sur la capacité de la Malaisie à préserver l’espèce. Quelles sont les solutions actuellement mises en place, et pourquoi un tel optimisme ?
Les premières mesures et études concernent l’arbre en lui-même.
D’une part, l’exportation des grumes de chengal est interdite depuis 1970. Seuls les planches et les objets manufacturés peuvent être exportés.
Depuis 1981, une taxe à l’export a été mise en place. Elle a beaucoup augmenté ces dernières années pour atteindre 250 RM / m³ (soit environ 55 euros). Il n’y a pas de quotas concernant le chengal mais cette taxe s’est révélée suffisamment dissuasive.
Ensuite, il existe trois programmes de recherche sur le chengal menés par le FRIM (Forest Research Institute of Malaysia). C’est peu, mais ils ont au moins le mérite d’exister ! Les chercheurs s’intéressent au chengal depuis longtemps : en 1927, des chercheurs avaient mené à Kepong des plantations expérimentales de chengal après avoir constaté la mauvaise régénération in situ.
Les deux premiers programmes actuels concernent l’identification des chengals et la mise en place d’un code-barre ADN. Le troisième, mené par le Dr Raja Barizan RS, est un programme de recherche sur les techniques de plantation améliorées "Improved planting techniques". C'est-à-dire comment accélérer la croissance du chengal sans qu’il ne perde ses propriétés.
Ce programme de recherche, mené sur un site pilote dans une zone de 5 hectares à Jerantut, a pour objectif de planter du chengal dans les zones dégradées des forêts dédiées à l’exploitation, en utilisant les techniques améliorées pour les tester, et d’établir des lignes directrices pour gérer les zones de plantation dans ces forêts d’exploitation.
La pépinière du FRIM abrite les jeunes plants. Déjà à cette étape, comme tout au long de la croissance de l’arbre, la luminosité est strictement contrôlée : si l’arbre a trop de lumière, il développe des branches basses, puisqu’il n’a pas à chercher la lumière plus haut, donc il n’est pas considéré comme exploitable pour l’industrie. S’il n’en a pas assez, il se développe très lentement. Il faut donc trouver le juste dosage pour qu’il se développe rapidement, mais avant tout en hauteur.
Le Dr Raja Barizan espère faire pousser des chengals exploitables en 20/25 ans. Un beau défi !
Ensuite, il faut également s’occuper de l’écosystème. Les zones protégées le sont efficacement, c’est déjà bien. Mais il faudrait en augmenter le nombre, notamment pour la forêt primaire. Ces Parcs Nationaux et zones protégées devraient suffire à préserver le chengal.
Un petit mot tout de même sur les forêts malaisiennes de Bornéo. Les états de Sarawak et Sabah appartiennent à la Malaisie (le reste de l’île est Indonésien), et il se trouve que même si le chengal n’est pas concerné, les forêts subissent une intense pression de la part d’exploitants peu scrupuleux avec la complicité des autorités. La situation est très sérieuse, et le palmier à huile est une nouvelle fois au centre des polémiques.
Nous, citoyens des pays occidentaux, avons un rôle à jouer ! D’une part en faisant attention à nos achats : l’huile de palme contenue dans les produits biologiques par exemple vient généralement d’exploitations gérées durablement, à privilégier. Par contre, faire attention aux plats préparés, aux biscuits industriels, aux détergents classiques et à de nombreux autres produits, qui contiennent de l’huile de palme et contribuent à la situation décrite.
D’autre part, en privilégiant le bois labellisé, notamment lors de l’achat de bois exotique (parquet, mobilier,...). Par exemple le label FSC est aujourd'hui la certification la plus exigeante et complète qui existe pour limiter la destruction des forêts tropicales et des forêts boréales. Plus la demande en bois labellisé (et réellement contrôlé !)augmentera, plus les propriétaires de concessions se sentiront encouragés à passer à la gestion durable.
L’impact sera certes marginal sur le bois exotique, puisque seulement 4 à 6% de bois tropicaux sont consommés par les pays occidentaux (Europe et USA), mais comme on dit même en Malaisie, les petits ruisseaux font de grandes rivières ! Puisque les standards des labels internationaux sont parfois trop difficiles à atteindre pour la majorité des exploitations des pays en développement, la Malaisie a créé sa propre certification : Malaysian Timber Certification, adaptée au marché local. Cette certification, créée par les industriels du bois, est extrêmement controversée en ce qui concerne les forêts de Bornéo où elle cautionne de la déforestation à grande échelle en lui donnant un label "durable", mais en Malaisie péninsulaire, elle a permis de mettre en place les prémices de la traçabilité, ce qui est un des fondements de la gestion durable. Espérons que le reste suivra rapidement.
Enfin, la valorisation des produits manufacturés comme le mobilier ou les sculptures est positive.
Si à première vue cette activité exploite une espèce menacée, en fait elle est bénéfique au chengal. D’une part, ce sont des petites pièces, qui permettent de maximiser l’usage du bois coupé puisqu’elles sont fabriquées à partir des chutes rejetées par les industries "lourdes". Auparavant, ces chutes étaient brûlées. Ensuite, le produit fini donne une vraie valeur économique au chengal, ce qui permet de justifier l’importance de le conserver et de le gérer durablement. Et encore une fois, cela évite de remplacer les forêts par des plantations d’espèces plus rentables.
Les commandes publiques, en offrant des débouchés à cette activité, jouent un vrai rôle de sauvegarde et de promotion du chengal : comme ces bus à Kuala Terengganu ou cette sculpture qui orne l’aéroport de cette même ville.
Même si la diminution du chengal paraît maintenant stabilisée, à 1% chaque année, et même si pour un pays tropical, les réserves sont bien gérées, il reste encore des efforts à faire pour préserver l’espèce et son écosystème. Oui, les Malaisiens ont raison d’être optimistes. Ils savent que, puisque le chengal a disparu de Thaïlande et d’Indonésie, c’est leur responsabilité de le protéger. Ce n’est pas un hasard s’il en reste encore en Malaisie ! Mais le chengal est une stratégie à long terme, c’est un arbre qui requiert du temps. Un beau défi dans un monde toujours plus pressé, et une belle leçon de vie !
Gnetum africanum
Noms communs : nkumu, kumbu, koko, okok, eru, fumbua, mfumbu, okasi. De nombreux noms en fonction des dialectes et des ethnies.
Cette plante appartient à la famille des Gnétacées. En Afrique, il n'existe que deux espèces très proches, Gnetum africanum et Gnetum buchholzianum. Elles ne peuvent être distinguées avec certitude que par l'examen des fleurs des individus mâles. Au Gabon, plusieurs "variétés" sont proposées sur les marchés, en fonction de la dureté des feuilles et de leur goût : nkumu kumu, nkumu kandje (ou ondje), nkumu libi, nkumu tabac, nkumu kouere. A priori ce sont toutes du Gnetum africanum.
Le Nkumu est une liane sarmenteuse, des sous-bois de la forêt tropicale humide. Elle comprend :
- un axe principal (1), doté de feuilles assimilatrices qui lui permettent de croître jusqu'à un point d'appui. Elle va alors émettre un rameau volubile. L'axe principal ne dépasse pas 30cm, et il disparaît au bout de 6 à 7 ans, laissant uniquement le rameau volubile.
- le rameau volubile (2), qui s'enroule autour de son support, pouvant atteindre des dizaines de mètres de longueur. Il est muni de feuilles écailleuses. A leur aisselle se développent des bourgeons qui vont donner les rameaux dressés.
- les rameaux dressés (3) produisent des feuilles assimilatrices. Ce sont celles qui sont récoltées et consommées. Les rameaux dressés ne dépassent pas 40 cm. Dans certains cas, le rameau dressé peut se transformer en rameau volubile.
Les feuilles sont opposées décussées, parfois en verticilles de 3, simples. Pas de stipules. Le pétiole fait jusqu'à 1 cm de long, canaliculé au-dessus.
Les Gnetum sont considérés comme des espèces particulières par les botanistes car elles font le lien entre les gymnospermes et les angiospermes. Elles ressemblent beaucoup à des plantes à fleurs dicotylédones (avec leurs feuilles opposées à nervation en réseau et leurs graines ressemblant à des cerises), mais ce sont en fait des gymnospermes.
Elles existent à l'état sauvage dans toute la sous-région d'Afrique Centrale. Leur aire de répartition géographique s'étend depuis le Nigéria, le Cameroun, La République Centrafricaine, le Gabon, la République du Congo (Congo Brazzaville), la République Démocratique du Congo, jusqu'en Angola.
On peut trouver le Nkumu dans la forêt humide du niveau de la mer jusqu'à 1200 m d'altitude et il lui faut une pluviométrie annuelle d'environ 3000 mm. On le trouve habituellement aux côtés d'autres plantes grimpantes sur des arbres des strates moyennes et inférieures, formant souvent des fourrés.
Gnetum africanum est principalement présent à la périphérie de la forêt primaire et dans les forêts secondaires. Aujourd'hui, il est plus commun que Gnetum buchholzianum, qui est surtout présent dans les forêts primaires.
La composition des feuilles de Nkumu est son principal intérêt pour l'homme. En effet, la teneur en protéines est particulièrement élevée, ce qui en fait un légume de choix.
Selon Mialoundama (2000), les feuilles de Gnetum africanum du Congo présentent par 100 g de matière sèche la composition suivante : 70 g d'hydrates de carbone dont 40 g de cellulose, 16,5 g de protéines, 6 g de lipides, et 7 g de cendres.
Tous les huit acides aminés essentiels sont présents dans le Nkumu. La teneur en acides aminés essentiels par 100 g de matière sèche est: 0,7 g d’isoleucine, 1,3 g de leucine, 0,8 g de lysine, 0,2 g de méthionine, 1,0 g de phénylanaline, 0,8 g de thréonine, 0,2 g de tryptophane et 0,9 g de valine.
D'après Mialoundama, les analyses d'échantillons de Gnetum africanum provenant de différents pays sont similaires.
Sources :
- Enquête de terrain juin-juillet 2010
- Schippers, R.R. & Besong, M.T., 2004. Gnetum africanum Welw. [Internet] Fiche de Protabase. Grubben, G.J.H. & Denton, O.A. (Editeurs). PROTA (Plant Resources of Tropical Africa / Ressources végétales de l’Afrique tropicale), Wageningen, Pays Bas.
- "Le koko ou mfumbu", sous la direction de F Mialoundama, édition l'Harmattan, collection Etudes Africaines.
Le Gnetum est un aliment courant dans toute l'Afrique Centrale. Et comme a dit une habitante de Franceville, au Gabon, approuvée par ses amies : "si je n'ai pas mangé du Nkumu de la journée, j'ai l'impression qu'il me manque quelque chose !". Peut-être sa ration de protéines ?
Les femmes jouent un rôle majeur dans le circuit du Gnetum, de la forêt jusqu'à la table. Comment les feuilles sont-elles récoltées ? Puis préparées ? Quels sont les autres usages et croyances locales autour de cette plante ?
Le Gnetum est une plante spontanée, un légume-feuille qui n'est pas cultivé, mais récolté en forêt. Les femmes savent où le trouver ! Elles le cueillent soit pour nourrir leur famille, soit pour le vendre et obtenir un revenu de complément. C’est une activité non déclarée pourtant très importante dans l’économie locale et familiale.
Quand les femmes partent en forêt, elles cueillent les rameaux feuillus, ou encore des tiges entières quand il s'agit de le vendre. Les méthodes de cueillette varient, de la plus durable, à la plus destructrice qui consiste à arracher la liane entière à partir de la racine et à couper l'arbre sur lequel la liane s'enroule.
Les femmes apportent ensuite leur récolte à des points de collecte, ou la vendent à des commerçants qui passent les prendre au village et les transportent (par pick-up, camion, train ou autres véhicules) pour la vente locale ou l'export. Une sélection est faite d'après la taille et la texture des feuilles, et est principalement déterminée par les espèces.
Pour la vente locale, les commerçants déchargent les gros sacs de Nkumu là où d'autres femmes attendent les arrivages pour ensuite les vendre au détail sur les marchés locaux. Les feuilles sont émincées avant d'être revendues.
A Franceville, au Gabon, dans la principale région où le Nkumu est consommé, les détaillantes achètent un tas de feuilles 200 FCFA (0,30 €). Elles le coupent ensuite en très fines lanières, et revendent un tas de feuilles émincées à 200 FCFA également. Un tas de feuilles entières correspond à 6 ou 7 tas de feuilles émincées.
L'éminçage du Nkumu est un geste que toutes les femmes apprennent au village dès le plus jeune âge, en voyant leur mère, leur grand-mère et les autres femmes le faire. Que ce soit pour la consommation personnelle ou pour être vendu, le Nkumu se consomme uniquement sous cette forme!
Au Gabon, le Nkumu est très marqué ethniquement : seuls une vingtaine de groupes ethniques en consomment (sur les 56 existants), parmi lesquels les Obamba et les Batéké dans le Sud-Ouest du pays. Et ceux qui en consomment le font en grande quantité.
C'est un élément indispensable du régime alimentaire, et d'une grande importance dans l'équilibre nutritionnel des populations, en particulier par son apport en acides aminés et en minéraux. Cet aliment semble particulièrement intéressant dans les régions où la viande est souvent un luxe. En effet, le déficit protéique de la ration alimentaire est l'un des problèmes nutritionnels les plus fréquents en Afrique.
Le Nkumu accompagne tous types de mets : viande, poisson fumé (sardine fumée,...), crevettes fumées, chenilles, criquets. Ou encore se suffit à lui-même, bien cuisiné dans de l'huile ou de la pâte d'arachide.
Dans les villages, les femmes préparent souvent le Nkumu ofula, ou okula, avec du "sel indigène". Il s'agit de cendres mouillées et filtrées. Le substrat recueilli est ensuite séché au soleil jusqu'à cristallisation, et donne un goût salé aux aliments.
Le Nkumu se prépare très facilement et rapidement. "Un plat pour les paresseuses" a même dit Evoli, une habitante de Franceville. Mais quand on voit les préparations des femmes du village, on se dit que ce n'est pas tout à fait vrai !
En fait, si le plat peut être élaboré, il est vrai que le Nkumu n'est plongé dans la casserole qu'à la fin de la préparation, et qu'il ne doit pas cuire plus de trois ou quatre minutes, pour rester bien vert. Dans d'autres pays, certaines ethnies attendent plus longtemps et le consomment "rouge" (bien cuit). Tout dépend des goûts et des habitudes culturelles.
Petite recette pour préparer le Nkumu aux sardines fumées et à la pâte d'arachide :
- dans une casserole, faire bouillir deux litres d'eau, avec de l'huile d'arachide (20 cl environ), et un cube de bouillon. Vous pouvez ajouter un oignon émincé.
- après quelques minutes, verser un sachet de pâte d'arachide (environ 300g) ; Attendre au moins vingt minutes.
- ajouter la sardine fumée dépiautée (poids en fonction de vos moyens), puis attendre encore quelques minutes
- Selon votre envie, ajouter des champignons, d'autres légumes comme du gombo,...
- Quand cela paraît prêt, plonger un tas de Nkumu dans la préparation, remuer et laisser cuire 3 ou 4 minutes, puis retirer du feu et servir !
Le Nkumu est donc une plante largement récoltée pour un usage alimentaire. Mais comme de nombreuses plantes locales, elle a aussi des vertus thérapeutiques.
Les usages énumérés ci-dessous ont été recueillis auprès de Gabonais, villageois, médecins traditionnels, ethno-botanistes (juillet 2010). Elle n'est pas exhaustive !
Voici donc les affections soignées par le Gnetum :
- coliques du nourrisson : plusieurs méthodes sont utilisées. Les feuilles de Nkumu sont mises à tremper une nuit dans un biberon, puis retirées le lendemain, et cette eau est donnée au bébé affecté. Une personne nous a même indiqué que dans son village, la coutume consistait à laisser pourrir les feuilles dans l'eau, avant de donner cette eau au nourrisson. Une autre recette consiste à piler ou écraser les feuilles puis les frotter sur le ventre de l'enfant.
- énurésie des jeunes enfants : la liane, dont les feuilles ont été enlevées, est attachée à la taille de l'enfant, qui la porte constamment. Quand la liane se rompt naturellement (en 3 à 7 semaines), le problème devrait avoir disparu. Si le mal persiste on réitère l'opération avec une liane fraîche.
- cicatrisation : Les feuilles sont écrasées et le jus récolté est étalé sur la coupure ou la blessure. Ou toute la pâte ainsi fabriquée est appliquée sur la blessure.
- constipation : en elles-mêmes, les feuilles de Gnetum sont un bon régulateur de métabolisme !
- maux de ventre: Faire bouillir des feuilles de Nkumu, laisser tiédir, et filtrer. A l'aide d'une pompe, injecter le liquide tiède dans le rectum.
- maladies rénales et maladies de la rate : la méthode ne nous a pas été révélée. A priori, ce serait un mélange de plusieurs plantes dont le Nkumu serait l'ingrédient principal.
- rhumatismes ou douleurs physiques : Des feuilles sont mises à chauffer puis appliquées en cataplasme.
- accouchement : Le Nkumu a la réputation de faciliter l'accouchement, soit en le frottant sur le ventre de la parturiente, soit en prenant une tisane de la liane uniquement (sans les feuilles). Dans l'Ogooué-lolo, une autre recette permet de "laver le ventre" après l'accouchement. Le Nkumu est alors préparé avec l'"aubergine amère".
- infection oculaire : Pour soigner une infection oculaire, des feuilles de Nkumu sont mises à bouillir dans une marmite, le malade se met au-dessus de la marmite et se recouvre d'un linge, puis il ouvre les yeux pour laisser la vapeur nettoyer l'œil.
- ivresse : mâcher des feuilles de Nkumu permettrait de diminuer les effets de l'alcool sur l'organisme.
D'autres affections sont citées mais les méthodes ne sont pas détaillées : hémorroïdes, hypertension, mycoses, furoncles, maux de gorge,...
Les usages médico-magiques du Nkumu sont également importants, notamment pour les populations Batéké . Dans le cadre d'un rituel, par exemple lors d'une initiation, le Nkumu permettrait d'enlever les mauvais sorts.
Par ailleurs, dans la tradition Téké, des histoires circulent sur les pouvoirs du génie de la plante. En effet, on raconte des histoires de villageoises perdues en forêt, qui après deux ou trois jours retrouvent leur chemin et apparaissent nues, avec des lianes de Nkumu autour du cou. Après cet épisode, elles ne peuvent plus manger de Nkumu. Il s'agirait d'un pacte avec le génie du Nkumu qui les aurait sauvées. De la même manière, des témoignages font état de personnes dans le coma, qui à leur réveil ne peuvent plus manger de Nkumu. Il s'agirait là encore d’un pacte.
Si ces témoignages ont été recueillis au Gabon, une étude ethno-botanique plus approfondie a été menée au Congo, et a recensé 42 vertus médicinales, dont 38 d'ordre thérapeutique et 4 d'ordre médico-magique.
Le Nkumu est donc une plante indispensable dans le régime alimentaire local, mais aussi une plante thérapeutique qui s'inscrit dans le patrimoine végétal et culturel de l'Afrique Centrale. Il paraît impensable aujourd'hui que ces populations se privent d'une telle ressource. Et pourtant, le Nkumu est menacé. Pourquoi ? Comment protéger cette plante ?
Sources :
- enquête de terrain juin-juillet 2010
- Schippers, R.R. & Besong, M.T., 2004. Gnetum africanum Welw. [Internet] Fiche de Protabase. Grubben, G.J.H. & Denton, O.A. (Editeurs). PROTA (Plant Resources of Tropical Africa / Ressources végétales de l’Afrique tropicale), Wageningen, Pays Bas.
- "Le koko ou mfumbu", sous la direction de F Mialoundama, édition l’Harmattan, collection Etudes Africaines
Dans de nombreuses régions des forêts tropicales, les besoins alimentaires quotidiens sont souvent satisfaits par la forêt. Les produits végétaux, comme le Nkumu, contribuent à la sécurité alimentaire des populations. Et pourtant, des villageois qui autrefois cueillaient ce légume-feuille dans les forêts bordant leur village doivent maintenant faire des kilomètres pour en trouver, ou l'acheter au marché. La plante se raréfie dans toute l'Afrique Centrale. Quelles sont donc les menaces qui pèsent sur le Nkumu ?
D'une part, les méthodes de cueillette sont pointées du doigt. Pour faire les paquets qui seront ensuite vendus, les récolteurs ne se contentent pas des feuilles mais tirent toute la liane, souvent en arrachant la racine. Et ce déracinement contribue à la disparition progressive de l'espèce, puisqu'elle ne peut pas se régénérer au même rythme qu'elle est exploitée. Parfois, ils coupent aussi le support, l'arbre, pour pouvoir tirer toute la liane au maximum.
De plus, les jeunes feuilles, les feuilles assimilatrices qui permettent la croissance de la plante, se vendent bien sur les marchés, et sont donc récoltées en priorité alors qu'il serait bien justement de faire l'inverse...
D'ailleurs, le problème viendrait surtout des personnes qui récoltent le Nkumu pour en faire le commerce, surtout quand elles viennent de la ville, et qu'elles reviennent dans les villages. D'après certains témoignages, au sein des communautés villageoises, les cueilleuses alternent les lieux de récolte afin de laisser à la liane le temps de repousser, tout au long de l'année il y a une sorte de gestion naturelle des zones de cueillette. Mais lorsque les personnes viennent de la ville, elles cueillent le Nkumu là où elles le trouvent, sans respecter cette "gestion villageoise". C'est ainsi que petit à petit, le Nkumu ne peut pas se régénérer entre deux cueillettes, il disparaît et il faut le chercher de plus en plus loin. Il en va de même lorsque le Nkumu est récolté pour être vendu, car alors les quantités récoltées sont bien supérieures à la consommation habituelle des familles.
Il n'y a actuellement aucune consigne sur les méthodes de récolte "durable", et aucune réglementation, même dans les Parcs Nationaux (au Gabon, une large partie du pays est classée en Parcs Nationaux)ou dans les concessions forestières dites "sous développement durable". Cette dénomination concerne uniquement le bois et les méthodes d'exploitation du bois, et non les PFNL (Produits Forestiers Non Ligneux*). Et les concessionnaires forestiers n'ont aucun moyen de garantir que, hormis le bois, les produits de la forêt soient récoltés avec des méthodes garantissant la régénération des espèces.
Le Gnetum est une plante spontanée, sauvage. Il n'est pas cultivé actuellement, mais on assiste à une exploitation massive des populations naturelles restantes, qui ont presque disparu au Nigeria et deviennent rares au Cameroun, dans les deux Congos, au Gabon et en Centrafrique.
Si la majeure partie du Nkumu est consommée localement, les échanges commerciaux s'intensifient depuis quelques années. Des études (Chevalier, 1951) montrent que le commerce des feuilles de Gnetum se pratiquait déjà dans les années 1950 sur les marchés d'Afrique Centrale. Aujourd'hui, ce sont les échanges internationaux qui expliquent en grande partie la surexploitation du Nkumu. C'est un produit qui se vend bien, une source non négligeable de revenus dans l'économie familiale. Pour certains villageois, c'est ce qui va permettre d'envoyer les enfants à l'école. Alors puisque la demande existe, il faut la satisfaire, peu importe le coût écologique !
Certains rapports indiquent que le Nigéria importe massivement le Gnetum venu tout d’abord du Cameroun, puis de Centrafrique et du Gabon, puis que la Nigéria exporte vers l'Europe et les Etats-Unis pour satisfaire la demande des communautés africaines installées dans ces pays. Mais il y a une certaine confusion, puisqu'en France notamment, mais dans les autres pays européens, le Gnetum vendu proviendrait du Congo et du Cameroun. Localement, au Gabon, il a été difficile d'obtenir de l'information : dans la région du Haut Ogooué, à Franceville, les vendeurs pensent que beaucoup de Nkumu vient du Congo voisin. D'autres disent que le Gabon exporte son Nkumu vers le Congo. Il y a sans doute du vrai dans chaque affirmation, mais aucune allégation ne peut être certifiée sans une étude plus poussée.
C'est d'ailleurs le seul point sur lequel les avis se rejoignent : il y a un grand manque de données sur ce commerce informel, sur la valeur et le volume commercialisés et échangés des feuilles de Nkumu.
Sans ces données et sans pouvoir faire un état des lieux de la situation, comment l'améliorer ?
Le manque d'information est un problème global sur cette plante. Le Professeur Mialoundama, un chercheur qui a beaucoup travaillé sur le sujet, a regretté que la biologie traitant du cycle de vie, de la germination et de la reproduction d'une façon générale du Gnetum ait bénéficié de peu de travaux.
Jusqu'à présent, il n'y avait pas vraiment de coordination entre tous les chercheurs de la sous-région qui travaillent sur le sujet. Les efforts sont dispersés et du coup, il n'a pas encore été possible de mettre en commun toutes les avancées individuelles sur la compréhension de cette plante à tous les niveaux : botanique, sociologique, économique.
Par ailleurs, pour les budgets de recherche et d'action, que ce soit pour les chercheurs, les administratifs ou les ONG, le Nkumu, plante menacée à moyen ou long terme, est en "concurrence" avec des espèces animales ou végétales emblématiques, menacées elles à court terme, et qui demandent des efforts conséquents maintenant !
Mais l'intérêt croissant pour les PFNL (Produits Forestiers Non Ligneux*) porte la promesse qu'il n'y ait plus une telle concurrence mais que ces sujets soient traités conjointement. Il existe des solutions faciles à mettre en place, et d'autres qui demanderont en effet du temps et des moyens, pour commencer à préserver cette plante garante d'une certaine sécurité alimentaire !
* PFNL : tous les biens et services, différents du bois d'oeuvre et ses dérivés, fournis par la forêt ou d'autres écosystèmes ayant des fonctions similaires tels que les jardins de case, les vergers villageois et d'autres systèmes agroforestiers.
Sources :
- enquête de terrain juin-juillet 2010
- Schippers, R.R. & Besong, M.T., 2004. Gnetum africanum Welw. [Internet] Fiche de Protabase. Grubben, G.J.H. & Denton, O.A. (Editeurs). PROTA (Plant Resources of Tropical Africa / Ressources végétales de l’Afrique tropicale), Wageningen, Pays Bas.
- "Le koko ou mfumbu", sous la direction de F Mialoundama, édition l’Harmattan, collection Etudes Africaines