Pourquoi en 2007, les botanistes spécialisés ont-ils classé le Bursera graveolens en danger critique d’extinction selon les critères de l’UICN ?
Pour des raisons qui concernent d’une part la gestion globale forestière, d’autre part l’écosystème, lui-même menacé, et enfin à cause de caractéristiques propres à l’espèce.
Il faut avant tout préciser qu’il y a un manque d’information de la population péruvienne. Certes, la situation est un peu différente entre le nord du pays, région d’origine du Palo Santo, et le reste du Pérou, mais globalement les gens ne savent pas que le Palo Santo est menacé, même ceux qui l’utilisent ! Pour eux, tant que le Palo Santo est proposé sur les stands d’articles religieux, ou qu’il est trouvable sur les marchés et dans les herboristeries spécialisées, il n’y a pas de problème… La hausse du prix est pourtant un bon indicatif : il a quadruplé en un an ! En 2008, les grossistes l’achètent à 2 soles le kg (soit env. 0,5 €), et le revendent à plus ou moins 5 soles (1,25 € env.). Il était acheté à 0,5 soles le kg l’année dernière… C’est le seul élément qui commence à faire prendre conscience que, le prix augmentant, la ressource est peut-être en train de se raréfier…
Rentrons maintenant dans le cœur du problème : pourquoi la ressource se raréfie-t-elle ?
Malheureusement, et ce n’est pas un problème uniquement au Pérou, la gestion des ressources forestières doit vraiment revoir ses fondements avant de servir les espèces, menacées ou non.
En effet, entre le manque de concertation des pouvoirs publics sur les plans de gestion et la corruption à tous les niveaux de responsabilité, le Palo Santo, comme d’autres espèces, encourt des risques majeurs.
Comme l’a confié un ingénieur de l’INRENA, s’il essaye de réguler le commerce et refuse une licence pour l’extraction, le propriétaire forestier va demander l’appui d’un membre du congrès, ou un appui politique qui fera pression sur l’INRENA. Le propriétaire va généralement arriver à ses fins, au détriment de la gestion durable…
Pour délivrer une licence d’extraction, l’INRENA examine d’abord la superficie de l’exploitation, le nombre d’arbres de plus de 30cm de diamètre ou d’arbres malades (les seuls autorisés à être coupés). Enfin, ils vérifient qu’il y a un plan de gestion des ressources.
Ils ont délivré en 2008 trois licences pour l’exportation de Palo Santo, concernant du bois mort. Mais notre ingénieur n’est pas dupe, la majeure partie du commerce est clandestine.
Il faut savoir que les camions transportant le Palo Santo doivent passer par 6 ou 7 postes de police pour sortir. Etrangement, les trafiquants ne sont jamais inquiétés !
Pour conforter ce point, depuis 1991, des rapports existent sur les risques encourus par l’espèce, notamment à cause de la fabrication de cagettes de fruits. D’après le rapport de l’INRENA, après avoir épuisé les ressources de Palo Santo dans la région de Lambayeque dans les années 1990, c’est la région de Piura qui est actuellement sous pression des exploitants. Or, il n’y a jusque là pas de coordination entre les pouvoirs publics pour fermer ou punir les ateliers de transformation du Palo Santo déjà coupé illégalement. Ceux qui font des cagettes savent que c’est interdit, mais bien souvent, comme les autorités locales se rejettent toujours la responsabilité d’intervenir entre eux, rien n’est fait et l’activité continue aussi tranquillement que l’arbre disparaît.
Par ailleurs, dès la formation des ingénieurs forestiers, Il existe un manque : ceux-ci n’apprennent qu’à gérer les espèces "commerciales", et rien n’est enseigné sur la protection des espèces menacées. Quand ils sont recrutés à l’INRENA (Institut National de Gestion des Ressources Naturelles), qui pourtant
traite aussi des questions de protection de la biodiversité, ils ne connaissent pas le sujet, ni la manière de procéder. Seuls les passionnés trouvent le courage de s’y mettre et de donner vie à leurs convictions, à travers des actions qui paraissent souvent des gouttes d’eau dans l’océan…
C’est aussi un constat particulièrement frappant : les fonctionnaires intègres, les passionnés des plantes locales, jusqu’à des professeurs d’université reconnus, se sentent seuls dans cette action. Il n’y a pas de sensation d’appartenance à une cause commune, ils se sentent au contraire isolés dans leur combat quotidien. Il est dur de garder intacte sa motivation dans ce cas-là, avec toutes les pressions subies au quotidien.
Pour ne rien arranger, l’écosystème de la forêt sèche est menacé : tout d’abord, le mot "forêt sèche" ("bosque seco") ne rend pas hommage à la biodiversité qui y vit. Dans l’esprit des gens, "sec" est associé à "sans vie", peu intéressant. Pourquoi donc faire des efforts pour la protéger alors que l’on peut la transformer pour lui donner une utilité ? Le mot, s’il est juste, ne fait pas justice à la vie végétale et animale endémique de ces régions !
Les étendues de forêt sèche, qui représentent tout de même 3% de la superficie totale du Pérou, sont donc progressivement transformées en terres agricoles ou en parcelles individuelles pour construire des habitations. C’est interdit, mais là encore, quelques dessous de table règlent l’affaire.
Enfin, le pâturage des chèvres et autres animaux fait des ravages dans la forêt sèche : les jeunes pousses ou les graines ont bien du mal à survivre aux mâchoires avides des bêtes en quête de verdure…
C’est d’autant plus inquiétant que le Palo Santo ne produit que peu de fruits. Il peut ne pas fabriquer de nouvelles graines pendant un, deux, voire quatre ans. De plus, seules trois espèces d’oiseaux mangent les fruits et dispersent les graines pour semer "naturellement" le Palo Santo. La diminution de l’écosystème affecte aussi la faune qui disparaît peu à peu ou se relocalise, y compris ces oiseaux semeurs…
Pour terminer ce constat alarmant, avec la raréfaction du Palo Santo, les exploitants n’attendent plus que l’arbre meure pour récupérer son bois, ils coupent l’arbre vivant. Pourtant, les composés chimiques changent à la mort de l’arbre et décuplent ses pouvoirs guérisseurs !
Heureusement, des passionnés travaillent sur le sujet : habitants, associations, fonctionnaires, universitaires… Toutes les bonnes volontés sont requises pour permettre au Palo Santo de continuer à nous enchanter !
De bons résumés des solutions pour protéger et valoriser l’espèce ont été donnés par Mr Chiroque et Mr Puescas, ingénieurs forestiers à l’INRENA. Déjà, il faut souligner que c’est une bonne chose de pouvoir compter sur des fonctionnaires intègres et motivés dans ces régions cruciales pour le Palo Santo !
Tout d’abord, il faut planter ! Le bois est tellement surexploité que sans un coup de pouce humain pour rétablir l’équilibre, la survie de l’espèce ne peut être assurée.
Comme le souligne Cristhian Saldarriaga, un étudiant passionné spécialisé sur le Palo Santo, c’est une semence très facile à travailler. Elle est rare, mais par contre peu exigeante : un sol sec lui suffit. De plus, les graines ne perdent pas leurs capacités de germination, même après des mois voire des années. Comme l’arbre ne produit pas de fruits tous les ans, les graines ont intégré cette capacité d’attendre le taux d’humidité et le moment idéal pour germer. Une fois le processus enclenché, il n’y a plus rien à faire qu’à la regarder pousser !
Planter, donc, mais en interdisant l’accès des zones plantées aux troupeaux (chèvres,…) pour ne pas mettre en péril les boutures ou les jeunes plants.
Toujours dans le cadre de la replantation, il est particulièrement intéressant de profiter du phénomène d’El Niño, le phénomène météorologique qui apporte des pluies formidables tous les 10 ans environ. A cette occasion, les semences poussent de manière incroyablement rapide, et c’est particulièrement vrai pour le Palo Santo. Quand El Niño s’approche, il faudrait être prêt avec des kilos de semences à planter. Prochain Niño prévu en 2011, il sera intéressant de voir si les bonnes idées ont pu déboucher sur une réalité !
Il reste encore un peu de temps pour arriver à coordonner toutes les parties prenantes, puisque c’est le point crucial dans ce cas-là.
Il est important d'évoquer les parties prenantes, il faut absolument une coordination qui soit mise en place au plus haut niveau de la hiérarchie et qui se répercute à tous les échelons. Une fois les tâches réparties et les moyens donnés pour atteindre les objectifs (ou, comme le dit Mr Chiroque, « une meilleure logistique, des véhicules, et plus de personnel»), il sera utile de créer des réserves, efficacement gardées contre le braconnage et la coupe illégale.
Il faut planter, c’est un point indiscutable, mais il faut aussi apprendre à valoriser ce qui existe. Pour Mr Puescas, il serait plus intelligent non pas de réprimander la population locale pour la taille illégale, mais bien de les orienter vers la valorisation et la protection de leur patrimoine. Rien ne pourra se faire sans eux. Il est important de faire comprendre aux habitants des régions où se trouve le Palo Santo qu’économiquement, ils auraient plus intérêt à le valoriser qu’à tout couper. Un herboriste interrogé disait que la pauvreté était responsable des menaces pesant sur le Palo Santo : les gens ne s’intéressent pas à ce qu’ils auront (ou pas) dans dix ans, ils ont besoin d’argent aujourd’hui, donc ils coupent.
Mais valoriser la ressource peut leur apporter de l’argent maintenant !
A Tumbes, l’association « Valle Hermoso » a monté un projet de replantation et de valorisation : dans le village de Puyango, les membres de l’association fabriquent des crèmes et des teintures mères de Palo Santo, utilisées par exemple dans le cas de rhumatismes, puis les vendent sur les marchés locaux. C’est une initiative particulièrement intéressante, financée en grande partie par le Programme des Nations Unies pour le Développement.
La gestion durable des ressources passera obligatoirement par l’implication des populations locales et la valorisation économique. Cette implication commence dès le plus jeune âge avec des actions de sensibilisation dans les écoles. Mr Chiroque a essayé de monter un programme de sensibilisation mais se heurte au manque de moyens. C’est une piste pourtant très importante !
Enfin, le tout nouveau Ministre de l’Environnement (le Ministère a été créé en mai 2008), Monsieur Antonio Brack Egg, a promis pour l’année prochaine une loi pour bannir la fabrication et l’usage des cagettes en bois, en s’inspirant du Chili qui commence à utiliser du carton. L’INRENA, qui dépend du Ministère de l’Agriculture, va aussi passer sous sa responsabilité, ce qui devrait donner lieu à des profonds remaniements, positifs nous espérons.
Ce Ministère n’a pas beaucoup de temps pour faire ses preuves, la situation est urgente. Aujourd’hui, la forêt amazonienne concentre tous les efforts au Pérou. Il ne faudrait pas oublier au passage la forêt sèche et le Palo Santo… Merci à tous ceux qui œuvrent à la conservation de cette espèce, et bon courage ! Plante & Planète vous soutient de tout cœur !
(sources : enquête de terrain septembre 2008, rapport de l’INRENA "Aspectos comerciales del Palo Santo Bursera graveolens en el Peru" 2007)