Ses usages
Le lei est un ornement fabriqué avec des éléments naturels et porté autour du cou. Les Hawaïens considèrent comme un grand honneur de recevoir un lei de Maile, plante associée à Laka, déesse de la danse et à la forêt. Les leis de Maile sont particulièrement appréciés des danseurs de hula et sont offerts lors d’occasions spéciales comme le mariage, la remise de diplôme,... De la collecte à l'offrande, la richesse de la tradition est passionnante et révèle la profondeur de la culture hawaïenne.
TRADITIONS ET REFERENCES
D'après un maître culturel, l'usage de la Maile serait probablement aussi ancien que l'existence des Hawaïens car de nombreux mythes, prières et chants traditionnels mentionnent cette plante, et notamment la Maile lau li'i de Kaua'i, la Maile de Ko'iahi à O'ahu, et la Maile lau nui de Panaewa.
Par exemple, la légende de Pele et Hi'iaka décrit une femme "complètement recouverte de guirlandes de Maile lau li'i". Le fameux guerrier Kalelealuaka se serait couvert de leis de Maile lau li'i avant sa première bataille.
Le chant Noho ana i Hilo évoque "Les fleurs de Lehua des hautes terres arrosées par les fines pluies de Panaewa, dont les senteurs se mêlent avec celle de la Maile de Panaewa". Mary Kawena Pukui dans son livre de dictons et chants traditionnels 'Olelo no 'eau rapporte notamment les extraits suivants : Ka makani hali 'ala o Puna "le vent parfumé de Puna" ou Nani Puna po i ke 'ala "Belle Puna, chargée de parfums". Puna était connue pour les senteurs de Maile, Lehua et Hala. Il se disait que lorsque le vent soufflait depuis la terre, les marins pouvaient sentir le parfum de ces plantes.
Le parfum d'un lieu est un élément important pour les Hawaïens, c'est un signe que le lieu est sacré. Si une personne se trouve dans un temple ou sur le lieu d'un ancien temple et sent le parfum de la Maile, elle saura que les esprits de ses ancêtres sont avec elle et qu'ils l'entourent comme un lei entoure le cou. Les Mele kanikau (chant écrits pour un être aimé décédé) mentionnent souvent la Maile dont la senteur rappelle la personne aimée.
Dans la mythologie hawaïennne, la Maile est rattachée à Laka, déesse du Hula, un art cérémonial hawaïen de chants et de danses, et de la forêt. La Maile est une des 5 plantes qui étaient autrefois placées sur l'autel du hula, le kuahu hula. La Maile est aussi considérée comme le kinolau de Laka, une des formes sous lesquelles la déesse Laka apparaît sur terre, une plante dans laquelle elle s'incarne. Différentes prières témoignent de cette croyance.
Le chant suivant, Pupu weuweu e, Laka e utilisé pour demander la permission d'entrer dans la forêt et de récolter les plantes de Laka, fait référence à la Maile :
Pupu weuweu e, Laka e.
O kona weuweu ke ku nei !
Kaumaha a'e la ia Laka.
O Laka ke akua pule ikaika.
Ua ku ka Maile o Laka a imua,
Ua lu ka hua o ka maile,
Noa, noa ia'u,…
"Récolte la verdure de Laka.
C'est sa verdure qui apparaît devant nous.
Nous révérons Laka.
Laka est la déesse des prières puissantes.
La Maile de Laka se présente à nous,
Répands les graines de la Maile.
Libre, je suis libre... "
USAGES COURANTS
L'usage principal de la Maile est donc le lei. Symbole de paix, d’engagement, de réussite, offrir ou porter un lei c’est aussi recevoir la force et l’abondance de la forêt. La Maile est perçue comme un cordon ombilical avec la terre, c’est pourquoi les Hawaïens y sont très attachés.
Dans le livre "Plants of Hawaii National Park – Plants and customs of the South Seas", l’auteur rapporte qu’en temps de guerre, les chefs souhaitant un armistice se retrouvaient dans un heiau, un temple, et tressaient ensemble un lei de Maile. Quand le lei était terminé, alors les hérauts annonçaient la bonne nouvelle au peuple.
Les danseurs de hula, rendent hommage à Laka et s’en inspirent en portant un lei de Maile. Lors du Merrie Monarch Festival, le grand festival annuel de hula à Hawai’i, des compagnies entières portent des leis de Maile, seuls ou en plus de leis floraux accordés à la danse choisie, notamment pour les danses de style ancien.
Une fois un spectacle de hula terminé, les leis doivent retourner à la nature : au cœur du volcan ou au pied d’un arbre en fonction de ses possibilités.
Le lei de Maile est aussi offert lors d’événements de la vie : diplôme, mariage, enterrement, inauguration, fête honorifique pour un lieu ou une personne,…
Le lei de Maile est ouvert des deux côtés. La partie gauche qui est la partie douce et la partie droite, qui est la partie forte, se rejoignent dans le lei et créent un équilibre. La personne qui l’offre au destinataire le pose sur ses épaules, puis, sauf dans le cas d’une femme enceinte, le referme pour que l’énergie de la personne et du lei circulent et ne s’échappent pas.
Après la cérémonie de remise de diplôme, la famille remet au jeune diplômé un lei de Maile. Il peut arriver que, de nombreux membres de la famille ayant participé à la collecte, les leis soient formés de plus de vingt brins! La remise du lei de Maile rajoute un grand honneur à la remise du diplôme.
Lors d’enterrements, un lei de Maile peut être mis dans le cercueil. Pour la famille, cela symbolise les événements de la vie de la personne tressés ensemble pour en faire un parcours de vie, des souvenirs qui seront emportés dans l’au-delà et qui formeront un lien avec ceux qui restent. Lorsque le sénateur de Big Island est décédé en 2013 aux Etats-Unis, ses proches ont demandé à déposer un lei de Maile dans le cercueil car c'était une figure emblématique de l'île. En 24 heures, un lei a été récolté, tressé puis envoyé par avion pour pouvoir le mettre dans le cercueil.
Il n’est pas rare de voir dans les maisons hawaïennes des portraits de personnes décédées avec un lei de Maile séché autour, qui symbolise le lien qui unit toujours la personne avec les habitants du lieu.
La demande de leis est donc constante certainement car elle accompagne la vie des Hawaïens de la naissance à la mort.
Les autres usages de la Maile sont peu nombreux. Des documents anciens révèlent que le jeu de ‘ume, jeu "amoureux" par lequel les personnes âgées désignaient autrefois les jeunes gens qui devaient s’accoupler était pratiqué avec une baguette de Maile.
De nos jours, la Maile est aussi utilisée en cosmétique artisanale pour son parfum mais les fabricants n’ont pas encore réussi à capter son parfum caractéristique…
LA COLLECTE DE MAILE
Prisé par les anciens Hawaïens comme le matériau le plus noble pour fabriquer un lei, la Maile est une plante dont la collecte réclame traditionnellement de gros efforts : marcher dans les forêts sur des versants escarpés, récolter les robustes lianes en s’écorchant les doigts puis tresser les brins pour en faire un lei. Pas étonnant que recevoir un tel présent soit un grand honneur !
Traditionnellement, les personnes qui veulent cueillir la Maile pour fabriquer un lei se rassemblent, avec le halau (école de hula), en famille, avec des amis. En arrivant dans la forêt, ils offrent une prière à la forêt pour que la récolte se passe bien. Ils tressent le lei au fur et à mesure en y mettant des intentions pour le destinataire et quand ils ont terminé ils offrent une action pour la forêt : disperser des graines, enlever quelques plantes invasives,…
D’autres traditions complètent ce protocole. Par exemple un sac de riz blanc était utilisé auparavant pour collecter la Maile car le blanc symbolise la pureté. Aujourd’hui ceux qui veulent respecter la tradition utilisent une taie d’oreiller blanche. Des cueilleurs utilisent uniquement leur main droite pour récolter, car elle correspond au côté fort (« ku »). Le côté doux, la main gauche, sera utilisée pour positionner le lei sur les épaules du destinataire. Certains cueilleurs respectent une coutume encore plus exigeante, celle de tresser les « 5 soeurs », les 5 variétés de Maile dans un même lei pour équilibrer le lei. Cela demande de parcourir de longues distances dans la forêt car ces variétés ne se trouvent ni à la même altitude, ni au sein des mêmes types de forêt.
La Maile rend la forêt assez impénétrable, mais le cueilleur ne se plaint pas car il respecte cet enseignement de la plante : le forcer à ralentir le rythme et apprécier la forêt !
La récolte de la Maile a la réputation d’”arracher la peau des doigts”, et les cueilleurs réguliers le savent bien ! Un cueilleur occasionnel nous a même confié que la douleur qu’il ressent en récoltant et en écorçant la Maile montre au destinataire du lei, pour un mariage ou un diplôme, que symboliquement ceux qui lui offrent le lei seront là pour partager les peines et les douleurs de la vie.
Un cueilleur peut suivre le même protocole pour une plante cultivée dans son jardin que pour une plante cueillie en forêt : prière pour demande la permission, tresser le lei, offrir une action au jardin en remerciement,…
Aujourd’hui, la tradition complète est cependant peu respectée, chacun se l’approprie pour suivre son propre protocole. Et si autrefois tous les leis étaient fabriqués au sein des familles ou des halau, depuis quelques dizaines d’années on en trouve dans les boutiques des centres villes. Les cueilleurs professionnels, qui fournissent les boutiques, n’ont souvent aucun protocole traditionnel et répondent juste à la demande.
Que ce soit pour une récolte personnelle ou professionnelle, un permis est obligatoire, car la loi interdit toute récolte de plantes dans le domaine public sans permis. Ce permis est gratuit pour la récolte privée.
Plusieurs théories s’opposent sur le meilleur mode de récolte (voir menaces). Un des principaux fournisseurs de leis de Maile sur la Grande Île demande à ses cueilleurs de laisser trois nœuds de feuilles et de couper au-dessus. Seules les tiges tendres peuvent être récoltées pour faire un lei avant que l’écorce ne durcisse, mais il faut en laisser suffisamment pour ne pas détruire la plante.
LA CONSOMMATION DE MAILE
Ce fournisseur nous a donné les chiffres suivants.Il compte à peu près 12 variétés de Maile et le prix du lei dépend de la difficulté de trouver la Maile en forêt. Par exemple, il achète au cueilleur 8$ le lei fabriqué avec la variété la plus proche, celle à petite feuille. Le lei est généralement à trois brins. Il les vend aux boutiques entre 12 et 20$ et les boutiques les vendent entre 30 et 60$. Le prix dépendant de la variété de la Maile.
Les leis d'autres îles du Pacifique, tressés avec des variétés différentes de Maile, paraissent plus fournis car les feuilles sont plus grosses mais ne sentent pas le parfum typique de la Maile hawaïenne qui est recherché par les connaisseurs !
Le fournisseur a en moyenne trois cueilleurs qui travaillent pour lui et fournit environ 250 leis de Maile par semaine. Lors du Merrie Monarch et des semaines de remises de diplôme, on lui en demande parfois plus d’un millier par semaine.
Son succès en fait un objet de consommation courant, tellement demandé que l’import d'autres îles du Pacifique, notamment des Îles Cook, est nécessaire. Cet import massif de la Maile des Îles Cook est déjà mentionné dans des articles de presse locale datant de 1976, 1978 et 1981. Pourtant, dans les Îles Cook la Maile locale n’était pas utilisée pour fabriquer des leis, au contraire d’autres voisins du Pacifique comme les Îles Tonga.
Cordon ombilical avec la terre, lien entre danseur et son inspiratrice, lien entre récolteur et destinataire du lei, lien entre vivants et ancêtres, lien entre conjoints, la Maile est une plante sociétalement primordiale. Une prière à la forêt pourrait s’appliquer à la Maile : I ola 'oe, i ola M?kou nei, "Parce que tu vis, nous vivons". Alors pourquoi cette plante est-elle actuellement fragilisée ?
Sources : recherche de terrain et interviews en avril 2014 ; Honolulu star Bulletin de 17/09/76 et du 09/03/91, Honolulu advertiser du 30/06/78, Sunday star bulletin and advertiser, 07/06/81 ; Mary Kawena Pukui "‘Olelo no ‘eau" ; Marie A McDonald et Paul R Weissich "Na Lei Makamae" ; Degener "Plants of Hawaii National Park – Plants an customs of the south seas".
Pour en savoir plus sur le Hula en France :http://www.festivalartsdhawaii.com/halau-hula-o-manoa.html