Les menaces
Si Alyxia stellata n’est pas considérée comme menacée, la Maile hawaïenne est en déclin constant depuis plus d’un siècle et la tendance s’accélère. Certaines menaces concernent toutes les espèces endémiques des îles Hawai’i: destruction et modification de l’habitat, déséquilibres induits par les espèces invasives (plantes, animaux, bactéries),… D’autres caractéristiques sont propres à la Maile, comme le manque de dispersion des graines ou les méthodes de cueillette non durables.
UNE QUESTION DE TAXONOMIE
Certains chercheurs pensent que si Alyxia stellata n’est pas menacée, la Maile, Alyxia stellata endémique d’Hawaï (autrefois appelée Alyxia oliviformis jusqu’en 2002) et ses variétés pourraient l’être. Sa classification dans un groupe plus large incluant les autres variétés du Pacifique aurait donc modifié son statut.
Nous considérerons ici le cas spécifique de la Maile, à Hawaï donc, puisque les défis et menaces auxquels font face les variétés endémiques sont documentés pour le cas spécifique d’Hawaï.
HABITAT
Un peu de géographie et d’histoire sont nécessaires pour comprendre l’évolution écologique des Îles Hawai’i. Les Polynésiens avaient conçu un système nommé ahupua’a qui permettait à une communauté de gérer des terres de la montagne à l’océan, en passant par les différentes altitudes et les différents sols. Ce système permettait à tous de trouver les ressources nécessaires en eau, végétaux et animaux. Avec l’arrivée du Capitaine Cook en 1778 et la vague d’immigration qui a suivi, les règles d’attribution des parcelles ont été modifiées et en 1848 un acte juridique a confirmé cette nouvelle répartition. Ces règles prenaient en compte la taille de parcelle cultivable, notamment pour la canne à sucre, et non le paysage et l’écosystème.
La déforestation a été massive entre 0 et 600 mètres d’altitude et des écosystèmes riches en biodiversité ont été convertis en monoculture de canne à sucre, ce qui a entraîné la perte de nombreuses espèces qui vivaient dans ces forêts de basse altitude.
La Maile a fait partie des espèces très affectées par ce phénomène surtout parce qu’elle était essentiellement distribuée dans ces forêts, elle a perdu plus de la moitié de son habitat en quelques dizaines d’années.
ESPECES VEGETALES INVASIVES
Après cette déforestation massive, dans les années 1920, l’eau de pluie ruisselait jusqu’à la mer et n’alimentait plus les nappes phréatiques, les rivières s’asséchaient. La culture de la canne à sucre nécessitant de grandes quantités d’eau, les propriétaires des plantations se sont réunis pour trouver une solution. A cette époque, ils se sont dit que s’ils replantaient des espèces d’arbre locales, les gens allaient les couper pour les usages auxquels ils étaient habitués.
Alors les propriétaires de plantation ont missionné le Dr Harold Lyon, botaniste, pour trouver dans le monde des espèces d’arbres à adaptation et croissance rapide, sans intérêt commercial. Ils pensaient ainsi reforester et protéger la forêt à long terme. Ce programme a complètement bouleversé les écosystèmes hawaïens en précipitant la disparition d’espèces locales bien au-delà des zones de plantation.
Et c'est bien la définition d'une espèce invasive : ce n'est pas une espèce intrinsèquement dommageable à un écosystème, puisque dans son écosystème d'origine elle participe à son équilibre, c'est une espèce qui n'est pas à sa place et qui déséquilibre son nouvel habitat.
Parmi ces plantes, il y a le Schaefflera actinophylla (arbre ombelle) d’Australie, le Clusia rosea (arbre autographe) de la forêt amazonienne, le Ficus microcarpa (ficus ginseng) d’Asie, le Psidium cattleyanum (goyavier-fraise) du Brésil.
Une autre plante est sur la liste des espèces invasives les plus destructrices, Hedychium gardnerianum (longose), appelée localement "kahili ginger" ou "Himalayan ginger". Elle a été importée comme plante ornementale par des américaines qui trouvaient que leur jardin manquait de fleurs. A cette époque, elles ne savaient pas que leur geste allait avoir des conséquences dramatiques !
Ces espèces sont à croissance très rapide, la compétition est trop rude pour les espèces locales, dont la Maile. Cette dernière peut mettre plus d’un an à germer et pousser comme le montre une étude en cours. Alors qu’il ne faut que quelques jours pour certaines invasives... Ainsi, lorsque les forêts d’Hawaï ont été frappées par d’importants ouragans il y a quelques années, les premières plantes à repousser ont été les longoses et goyaviers-fraises.
Les espèces invasives poussent aussi très bien à l’ombre et forment une couverture du sol qui étouffe les autres plantes. Les plantes sont en concurrence pour l’espace ainsi que pour les ressources en eau et en nutriments du sol. Cette compétition est généralement remportée par les espèces invasives au détriment des espèces locales.
Leurs graines sont petites et les oiseaux les dispersent sans problème sauf pour les fougères arborescentes australiennes dont les spores sont facilement dispersés par le vent. Ce qui explique que toutes les forêts soient affectées par le problème.
De plus, le goyavier-fraise sécrète des substances allélopathiques qui empêchent d’autres plantes de pousser autour de lui, générant des problèmes supplémentaires dans le couvert forestier.
Tous ces défis pour la Maile contribuent à la fragiliser, tout comme de nombreuses espèces endémiques. L’état d’Hawaï dispose d’une liste d’espèces interdites à l’importation, mais ce sont les espèces déjà identifiées comme invasives ! D’autres pays disposent d’une liste exclusive d’espèces autorisées et pour importer d’autres espèces il faut pouvoir prouver qu’elles ne sont pas menaçantes pour la flore locale. Ce n’est pas le cas à Hawaï.
ESPECES ANIMALES INVASIVES
Les ongulés sauvages apportés par les immigrants pour l’élevage ou la chasse sont souvent considérés comme très dommageable pour la biodiversité locale.
Les petits cochons sauvages polynésiens pesaient entre 20 et 30 kg maximum, leur impact était limité dans les forêts. Puis les immigrants sont arrivés après Cook et ont apportés avec eux les cochons européens. Ils se sont reproduits entre eux et maintenant les cochons sauvages pèsent plus de 150 kg et se reproduisent vite. L’impact est dévastateur sur la forêt. En plus des quantités de nourriture qu’ils ingèrent, ils déracinent les petites pousses comme celles de la Maile quand ils fouissent le sol à la recherche de nourriture.
Les cerfs ont été introduits plus tard pour la chasse. Leur population croit très vite et au contraire des petits mammifères endémiques, ils se nourrissent en hauteur. La Maile peut donc compter sur un prédateur supplémentaire.
Enfin, une étude a montré l’impact négatif des rats sur les populations de Maile. Là encore, au fur et à mesure des vagues d’immigration, des espèces différentes de rats sont arrivés sur les îles. La Maile produit des graines assez grosses et les rats se nourrissent de ces grosses graines dans les forêts, contribuant à leur destruction plutôt qu’à leur dispersion.
Parfois, on se dit que les humains pourraient bien être également considérés comme une espèce invasive pour la flore locale !
MENACES SPECIFIQUES SUR LA MAILE
Les graines de la Maile sont donc assez grosses et les oiseaux frugivores qui auraient pu disperser les graines de la Maile ont quasiment tous disparus. Ces oiseaux nichaient au sol mais les espèces apportées par l’homme ont détruit les nids et condamné ces oiseaux.
Il ne reste que deux espèces d’oiseaux frugivores, la Corneille hawaïenne, ou Alala (Corvus hawaiiensis) qui a disparu à l’état sauvage, et le Solitaire d’Hawaï, ou ‘Oma’o (Myadestes obscurus). La taille du fruit de la Maile est à la limite de ce que ce dernier peut avaler, alors s’il a le choix entre un autre fruit et la Maile, il n’ira pas naturellement vers la Maile.
Il n’y a donc plus de dispersion animale de Maile actuellement ce qui limite fortement sa régénération.
Par ailleurs, si la récolte est pratiquée de manière durable, cela n’affecte pas la plante. Mais les récolteurs particuliers ou professionnels n’ont pas toujours été initiés et formés à la récolte durable. Si la plante est récoltée trop jeune et quand elle est trop petite, alors elle ne survivra probablement pas.
Il existe deux méthodes principales pour récolter la Maile : l’une consiste à couper la tige écorcée pour que la blessure de la plante soit la plus petite possible. Cela éviterait que de nombreuses maladies et bactéries pathogènes nouvellement introduites détruisent la plante. L’autre méthode consiste à laisser la tige écorcée sur la plante pour lui laisser une chance de se régénérer ainsi. Une étude est actuellement en cours pour déterminer la méthode qui serait la moins dommageable pour la plante.
Le problème est également la surexploitation : il y a actuellement 1 million de pratiquants de hula (au Japon notamment) et plus de 8 millions de visiteurs par an. Comment faire face à cette demande de Maile ? Les leis importés ont de plus modifié la demande de leis de Maile. Les variétés des Îles Cook par exemple ont des feuilles plus grosses et des tiges plus fournies, même si elles n’ont pas de parfum. Cependant, la demande est croissante pour des leis bien fournis, épais (et parfumés) alors que certaines variétés de Maile ne s’y prêtent pas. Il faut donc rajouter des brins aux leis vendus habituellement dans les boutiques.
RICHESSES MECONNUES
C’est d’ailleurs un problème plus global. Si le public ne sait pas vraiment comment se présentent les différentes variétés de Maile locales, il existe un manque de connaissance général sur les espèces endémiques.
Les Îles Hawai’i sont des championnes en terme d’endémisme sur la planète, mais peu d’habitants ont la chance d’être en contact avec ces espèces endémiques au quotidien. Peu d’entre eux se rendent compte de l’incroyable richesse de la biodiversité locale qui vient de la position géographique particulière au cœur du Pacifique, entre volcans et océan.
Le manque d’interactions avec les espèces dans leur écosystème induit des comportements de consommation loin des interactions spirituelles des anciens…
La Maile hawaïenne est donc une espèce fragilisée, en déclin malgré son importance culturelle majeure. Quelles seraient les solutions pour la préserver et avec elle les autres espèces endémiques ?
Sources : Recherche de terrain et interviews en avril 2014 ; Shiels and Drake 2011, Wong unpublished work ; Buck 2003 ; Ticktin, Fraiola and Whitehead 2006 ; Honolulu star Bulletin de 17/09/76 et du 09/03/91, Honolulu advertiser du 30/06/78, Sunday star bulletin and advertiser, 07/06/81.