KL, 8 mars 2009

Aujourd’hui a été une journée exceptionnelle, non pas que j’aie enfin passé une nuit sans punaises, mais parce que d’une part, il a fait beau (chaud, c’était acquis, mais beau, depuis mon arrivée, pas encore). Grand soleil, donc, et d’autre part, j’ai vu un magnifique chengal. Jusqu’à présent, le seul que j’avais vu était le jeune plant en pot du premier jour. Celui d’aujourd’hui avait atteint son plein potentiel, c'est-à-dire il avait plus de 60 ans, mesurait au moins 50 mètres de hauteur, et avait la place d’étaler largement ses branchages. Ce qui lui vaut une place d’honneur : la photo de présentation sur le site !

Tout cela en excellente compagnie : Sanjit, le photographe, sa femme, qui travaille à la MNS (Malaysian Nature Society), et "Uncle Yip". Oncle Yip est un guide naturaliste un hôtel de luxe qui se trouve sur une superbe petite île malaisienne. Quand les clients sont lassés de la plage et du spa, ils suivent Oncle Yip dans la jungle, et on comprend vite pourquoi. C’est un homme chaleureux, à la bonne humeur contagieuse, passionné et passionnant.
Nous étions dans la forêt et l’arboretum du FRIM (Forest Research Institute of Malaysia), en banlieue de KL, dont il a dirigé les plantations dans les années 60 et pendant 10 ans. Il a donc retrouvé pour nous les chengals plantés quelques dizaines d’années plus tôt. Force est de constater qu’ils n’ont pas beaucoup grandi : la compétition des autres arbres, et surtout, un rythme naturel assez lent.

C’est d’ailleurs une des causes de la disparition de cet arbre : malgré des propriétés incroyables, il n’est pas intéressant de le planter dans une société poussée par la productivité et la rentabilité à court terme. Le Chengal met 40 à 60 ans avant d’atteindre sa maturité (en fonction des conditions extérieures). Trop lent...On ne le plante donc pas. Par contre, ceux qui restent sont précieux : 50 000 Ringit l’arbre sur pied (10 500 euros environ). Son utilisation est soumise à des permis, et réservée à des clients qui ont les moyens... L’hôtel dans lequel travaille Oncle Yip a récemment refait son débarcadère en chengal, il a coûté 275 000 Ringgit (60 000 euros env.).
C’est une question intéressante d’un point de vue philosophique : un arbre qui pourra être exploité certainement uniquement après la mort de celui qui l’aura planté met l’homme en face de sa condition de mortel. Et nous sommes dans une société qui cherche à éviter de regarder en face cette condition. Au lieu de se concentrer sur le fait que l’arbre pousse et grandit, sur la beauté intrinsèque de la vie de l’arbre, l’homme d’aujourd’hui préfère souvent se concentrer sur le résultat final, son exploitation, ce qui n’est pas à l’avantage du chengal !

D’ailleurs, en parlant de beauté de la nature, de retour en ville, j’ai pris le temps de chercher un autre hôtel pour pouvoir changer le lendemain matin. Je ne sais pas combien de jours je vais encore passer à Kuala Lumpur, mais j’aimerais juste me réveiller le matin sans maudire tous les insectes de la création, et au contraire avec le sourire en pensant à la beauté de cette nature tropicale que j’ai toujours aimée !